s

Accueil

www →

l

Introduction

En septembre 2019, Ryan Murphy publie sur Instagram le générique de la neuvième saison de sa série d’anthologie American Horror Story (Ryan Murphy et Brad Falchuk, FX, 2011–). Dans la description de la publication, il remercie Kyle Cooper, le réalisateur des génériques des huit saisons précédentes et leur « nouvel ami » Corey Vega. C’est un fan de la série, qui à l’annonce du titre de la nouvelle saison quelques mois plus tôt, avait posté sur Twitter un générique amateur de ce qu’il imaginait pour cette saison dont l’action prend place dans les années 1980. Sa vidéo a été repérée par Ryan Murphy qui l’a contacté pour participer à la réalisation du générique officiel d’American Horror Story: 1984. Comme l’a ainsi relaté Vulture1, de rares fans ont parfois l’opportunité de participer au générique d’une série.

Corey Vega

Publication de Ryan Murphy @mrrpmurphy, Instagram, 12 septembre 2019. Je suis très excité de vous partager le nouveau générique d’AMERICAN HORROR STORY réalisé par mon collaborateur de longue date Kyle Cooper et notre nouvel ami Corey Vega, qui a imaginé ce concept dans son générique de « fan » posté sur Twitter après l’annonce de la saison 1984. J’ai tellement aimé que j’ai décidé de lui proposer de travailler avec Kyle pour améliorer le concept et le rendre encore meilleur. Félicitation Corey ! L’horreur eighties n’a jamais été si cool.

Il existe des centaines de blind-tests musicaux de génériques de séries sur internet. Des détournements et des faux génériques sont mis en ligne sur Youtube ou les réseaux sociaux. Le générique est un élément fédérateur pour les spectateurs, il a un rôle important dans leur attachement à une série. Et ces séquences jouent de plus en plus avec ses spectateurs : séquence mystérieuse qui se révèle lisible après plusieurs épisodes, changement soudain d’un épisode à l’autre... ou annonciateur des intrigues à venir comme celui de Game of Thrones (David Benioff et D.B. Weiss, HBO, 2011 – 2019), qui sous forme de carte géographique précise au spectateur où vont se dérouler les actions de l’épisode à venir.

En tant que spectatrice, j’ai trouvé un grand intérêt à chercher la signification des objets mis en scène dans le générique de The Politician (Ryan Murphy, Brad Falchuk et Ian Brennan, Netflix, 2019), tandis qu’au contraire, j’ai regardé les deux saisons de Fleabag (Phœbe Waller-Bridge, BBC Three, 2016 – 2019) sans me rendre compte que cette série n’avait pas de générique d’ouverture. Je l’ai réalisé au moment de mes recherches lorsque j’ai essayé de trouver en vain cette séquence. Désormais, il n’y a pas (ou plus) de règle concernant les génériques de séries. Si certains codes sont majoritairement respectés au cinéma quant à la durée, au contenu... À la télévision et, maintenant sur les plateformes de SVOD (vidéo à la demande par abonnement), tout est envisageable. Ainsi, il me semble que la production de génériques de séries se renouvelle sans cesse et explore de nouvelles possibilités. Pourquoi certaines séries conservent-elles un générique long et détaillé, alors que d’autres n’en ont plus besoin ? Face à toutes ces formes de génériques jusqu’à leur absence, j’ai voulu comprendre comment ils sont réalisés, ce qu’ils révèlent de la télévision et de l’expérience spectatorielle.

On est tenté de comparer les génériques de séries à ceux du cinéma, j’essaierai pourtant de comprendre ce qui les distingue. Je n’aborderai que les séries et le cinéma de fiction et ne traiterai pas de la question du documentaire. Y a-t-il une singularité des génériques de séries ?

Ils sont tous deux une entrée dans le récit, qui ont deux fonctions principales : mettre le spectateur dans l’univers de la fiction et présenter l’ensemble des mentions nominatives. Malgré de nombreuses similarités, les génériques de séries émergent dans un contexte différent de celui du cinéma. D’une part par leur production, initialement télévisuelle, et d’autre part par leur réception par les spectateurs.

Je laisserai ensuite de côté le cinéma, même s’il est historiquement inextricablement lié aux séries, pour préciser les formes qui leur sont particulières, et ainsi esquisser une histoire du générique de série. Il est évident que certains de mes choix ont été motivés par l’attachement que je porte à certaines de ces séquences en tant que spectatrice.

Genèse d'un générique de série

Le générique de série comme au cinéma est une séquence, présente au début et à la fin de chaque film et de chaque épisode. Il est constitué de trois éléments principaux : du texte, des images et une bande-son. C’est un lieu de passage du monde réel à l’univers du film ou de la série. Plus ou moins investi, le générique est un fragment de l’œuvre qui en présente l’ambiance et non le scénario. L’association typographie, plans, couleurs et bande-son rend compte de l’atmosphère du film ou de la série pour amener le spectateur vers ceux-ci. Le générique donne également le rythme de la fiction, lent ou rapide, rarement entre les deux.

Si en français, tout le monde s’accorde à le nommer générique ou parfois séquence d’ouverture, en anglais, il est doté de plusieurs noms. Ceux-ci précisent souvent si on parle de celui d’ouverture ou de fin : credits, opening sequence, opening credits, end credits, main title, title sequence, title credits, opening title sequence... Il me semble important de préciser cela, car la majorité des génériques cités ici sont issus de séries américaines.

Tout en faisant partie de l’œuvre, le générique est aussi un objet autonome. Il s’inscrit dans un espace-temps différent de celui de la fiction et la rejoint, de multiples manières, au seuil de la diégèse. Il est doté de propriétés liminaires, il encadre et délimite la fiction. Un générique de série a le rôle particulier d’unifier un ensemble d’épisodes et de saisons et participe à donner de la cohérence à une série. Souvent identique, il peut aussi être pluriel et mouvant d’une saison à l’autre, parfois même d’un épisode à l’autre. Même à travers ces variations, le générique participe à construire une identité par une certaine constance dans le temps.

C’est dans un premier temps, un objet informatif, pourtant complexe car à la fois fictif, artistique, législatif et souvent aussi teaser (annonciateur intriguant dans le cas d’une série). Pour les créateurs de génériques, il s’agit de produire une séquence qui transmette une ambiance et participe à donner envie aux spectateurs de regarder un épisode de 30 ou 52 minutes en 45 ou 90 secondes, tout en respectant les mentions légales2.

Producteurs

Au-delà de la portée narrative et esthétique, le générique de cinéma ou de série est d’abord une séquence qui répond à des règles juridiques. Il crédite l’ensemble des personnes ayant œuvré à l’élaboration du projet. Jusque dans les années 1930, les différents corps de métiers du cinéma ont revendiqué leur droit d’apparaître au générique. Les scénaristes, particulièrement mal reconnus, ont mené des grèves et de nombreuses manifestations pour y être cités. La décision d’inscrire tel nom au générique est prise par la production et revêt une signification évidente. Alexandre Vuillaume-Tylski nous apprend qu’aux États-Unis, de 1947 à 1960, une Liste noire regroupait les noms des artistes soupçonnés de sympathie avec le Parti communiste, et donc ne devaient pas être crédités au générique. En France, dans les années 1930, il est choquant d’apprendre que les noms juifs et arabes n’étaient pas toujours cités3.

Le générique est la trace d’un travail collectif permettant d’attribuer une fonction à la personne qui l’a accomplie. Cependant certains génériques ne sont pas exhaustifs et peuvent omettre de citer certaines personnes pour des raisons politiques, de conflits... La fonction à laquelle les noms sont rattachés est aussi liée à un statut dans l’industrie du cinéma ou télévisuelle, notamment à Hollywood.

Les noms mentionnés au générique ont également un rôle économique. Aux États-Unis, être cité au générique d’ouverture et à tel ou tel poste permet d’être rémunéré en conséquence. En 2000, au générique de la série télévisée CSI: Crime Scene Investigation (Les experts) (Anthony E. Zuiker, Ann Donahue et Carol Mendelsohn, CBS, 2000 – 2015) l’acteur William Petersen est mentionné comme producer (scénariste à qui peut éventuellement être confié d’autres tâches), alors que dans les faits, il n’a pas écrit un seul épisode. Cependant, grâce à cette double apparition, il émarge deux fois : en tant qu’acteur et en tant que scénariste. Ce type d’arrangement pouvait être proposé par les producteurs pour attirer certains acteurs, souvent issus du cinéma4.

La législation autour du générique, en France ou ailleurs dans le monde, reste assez évasive par le manque de documentation à laquelle se référer. En tout cas, une anecdote revient souvent à ce propos : en 1977, le générique d’ouverture du film Star Wars: A New Hope (George Lucas, 1977) n’était pas légal aux États-Unis puisque le nom du réalisateur n’apparaissait pas au début du générique. La Directors Guild of America a alors demandé à la production de payer 250 000 $ d’amende. La DGA est un syndicat dont Georges Lucas s’est retiré après cette affaire5.

Star Wars: A New Hope, George Lucas, 1977, générique de Dan Perri, 01:10, musique de John Williams

En littérature, Gérard Genette, qui a élaboré une théorie des structures du texte, différencie le nom de l’auteur de la signature6. Il établit un parallèle avec le cinéma, où la production présente le film et le réalisateur, il en va de même pour les séries. Si le showrunner, c’est-à-dire le créateur de la série, est garant du scénario et du montage final de l’épisode, il est lui-même introduit et nommé par la production. Le titre de la série est partagé entre la production et le showrunner, le contrat établi entre les deux mentionne le titre et non le scénario. Le titre figure sur le catalogue de la production et/ou de la chaîne de télévision et de la plateforme de SVOD (vidéo à la demande par abonnement).

Les mentions qui doivent figurer au générique d’ouverture, au cinéma comme pour les séries, sont définies par les producteurs. Les différences de taille entre les noms des acteurs sont spécifiées par les agents lors de la signature du contrat7. Il montre la puissance d’une production par son étendue et la hiérarchie entre les noms. Certaines personnes qui décident de l’organisation des crédits dans les génériques d’ouverture et de fin ont un pouvoir de décision sur ce qui doit apparaître ou pas.

Le lieu privilégié de la signature de la production dans un film ou une série est le logo qui ouvre le générique. Dans sa première forme historique, le générique ne se composait que de l’emblème (aujourd’hui couramment appelé logo) de la société de production. Au début du XXe siècle, les films étaient parfois exploités par des pays étrangers sans que des droits ne leur soient cédés. Ainsi, les sociétés de production décidèrent de protéger leurs œuvres par l’introduction de cet emblème en début de film. Plus tard, cette signature a parfois été introduite dans les décors au tournage afin qu’il soit présent sur chaque bande du film.

Le chercheur Alexandre Vuillaume-Tylski se demande si ce logo fait partie du générique ou le précède et commence juste après8. Certains exemples cinématographiques de détournement du logo de la production pencheraient en faveur de l’appartenance du logo au générique comme celui d’André François pour The Fearless Vampire Killers (Roman Polanski, 1957) dans lequel le célèbre lion du logo de la Metro Goldwin Mayer se transforme en vampire. Mais, il n’y a que très peu d’exemples de tels détournements pour les logos des génériques de séries.

The Fearless Vampire Killers, Roman Polanski, 1957, générique d’André François, 02:10, musique de Christopher Komeda

Le logo de la production est un élément initial du générique destiné aux spectateurs, même si de plus en plus zappent le générique. Les plateformes de SVOD qui le permettent, placent le logo de la production avant chaque premier épisode visionné. La production prend alors la place la plus visible. Le temps que le spectateur valide le passage du générique, le nom ou le logo de la production s’affiche. La production devient alors celle qui signe la création de la série, puisque les noms des créateurs ne s’affichent plus à l’écran. C’est également le cas pour les « génériques-titre » qui n’affichent que le titre de la série, et le logo de la production. Nous reviendrons ultérieurement sur cette forme de générique.

Title designers

Les premiers génériques de séries télévisuelles s’inspirent grandement des génériques produits pour le cinéma. Ces derniers, dans la forme qu’on leur connaît aujourd’hui, c’est-à-dire diffusés en amont de la diégèse, apparaissent au début du XXe siècle9. Il s’agissait souvent de titrages peints à la main sur des cartons, des films transparents ou des plaques de verre, insérés en surimpression au montage. Ces séquences étaient conçues par les studios chargés des cartons dans le cinéma muet. Dans les années 1930, les productions cinématographiques font appel à des peintres, des publicitaires ou des techniciens spécialisés en effets spéciaux qui se chargent de concevoir les génériques qui restent le plus souvent statiques. La diversification des genres cinématographiques et les avancées techniques, notamment l’utilisation de tireuses optiques, ont déterminé les différentes manières de penser et de réaliser un générique.

Les peintres et les illustrateurs initièrent le générique réalisé en dessin d’animation, très populaire dans le cinéma comique italien et français, ainsi que le cinéma de genre (fantastique, aventure) aux États-Unis. Certains génériques étaient écrits ou signés à la main comme celui de La Belle et la Bête (Jean Cocteau, 1946). Dans les années 1960, Orson Welles pensa un générique en voix-off pour plusieurs de ses films dont Le Procès (Orson Welles, 1962). D’autres génériques sont composés d’un fond fixe ou non, dont beaucoup évoquent la littérature, mettant en scène un livre, un cahier ou un carnet comme le générique de Si Versailles m’était conté (Sacha Guitry, 1954) de Sacha Guitry. Après une succession de cartons sur un fond de marbre, un acteur tourne les pages d’un livre sous forme d’album photos présentant les acteurs et les personnages qu’ils incarnent.

Dans les années 1950/1960, les génériques diégétiques, c’est-à-dire inscrits dans l’histoire, dans le décor du film et en prise de vue réelle se développent. On peut aussi noter l’apparition du split screen, de la fragmentation du générique et des intertitres, notamment chez Jean-Luc Godard. Les génériques de films et de séries actuels s’inspirent encore de ces procédés initiés dès le milieu du XXe siècle.

Dans les années 1950, Saul Bass et Maurice Binder révolutionnèrent la conception des génériques d’ouverture par la dimension graphique et métaphorique qu’ils y ont apportée. Ils furent parmi les premiers à être cités en tant que title designers au générique. Auparavant, les concepteurs de génériques n’étaient pas nécessairement cités : avant les années 1950, ils étaient parfois nommés dans la catégorie réservée aux décors puis parfois aux effets spéciaux. Si, jusqu’au milieu du XXe siècle, les génériques étaient confiés à diverses personnes aux métiers pluriels, et que leurs conditions de réalisation pouvaient dépendre d’une production à l’autre, ils font aujourd’hui l’objet d’une réalisation à part. Au cinéma comme dans les séries, il est devenu rare que les réalisateurs conçoivent des génériques dans leur entièreté, ils sont presque toujours confiés à des agences et studios spécialisés, des motion designers ou des title designers. En français, il n’y a pas de nom précis pour qualifier ces créateurs.

En ce qui concerne plus précisément les séries, les conditions de tournage font que les créateurs n’ont pas toujours vu la série ou seulement les premiers épisodes avant d’en concevoir le générique. Ils doivent alors se baser sur ce que leur raconte la production ou les créateurs de la série. Mark Garner et Steven Fuller du studio Imaginary Forces, les créateurs du générique de Mad Men (Matthew Weiner, AMC, 2007– 2015), expliquent dans le documentaire d’Olivier Joyard10, qu’ils ont réalisé une séquence qui correspond parfaitement à la série. Ils ne l’avaient pourtant pas visionnée au préalable, son créateur leur avait seulement résumé l’histoire. Mad Men raconte la vie personnelle et professionnelle de Don Draper, directeur artistique d’une agence publicitaire dans les années 1960 à New York. Son générique montre la silhouette d’un homme dans son bureau, puis tombant du haut d’un gratte-ciel. Mark Garner et Steven Fuller, qui se sont appuyés sur certaines phrases prononcées par Matthew Weiner, ont pris la décision de réaliser la séquence en animation.

Mad men, Matthew Weiner, AMC, 2007– 2015, générique de Marc Garner et Steven Fuller, saisons 1 à 7, 00:39, musique de RJ2D, A Beautiful Mind

Ils se sont justement inspirés des génériques de Saul Bass dont celui de North by Northwest (Alfred Hitchcock, 1959) et du générique de The Game (David Fincher, 1997) de David Fincher. Ils ont eu la chance que l’action du générique exprime si bien l’univers à venir de la série. Ils estiment avoir réussi la séquence, car ils ont pu suivre les interprétations et réinterprétations du générique par les nombreux fans, en fonction des saisons et des épisodes.

Aux États-Unis, la majorité des génériques de séries pour des chaînes de télévision ou des plateformes de SVOD sont réalisés par des studios spécialisés dans la conception de ce type de séquences mêlant photographie, film, graphisme, typographie et animation. Certains de ces studios ont été créés par des title designers reconnus dans les années 1980 ou 1990, comme Imaginary Forces co-fondé en 1996 à Hollywood par Kyle Cooper. Ancien élève du designer graphique Paul Rand, ce title designer a réalisé, entre autres, les génériques de Se7en (David Fincher, 1995) ou Mission: Impossible (Brian DePalma, 1996). En 2003, il a quitté Imaginary Forces pour fonder Prologue films11.

Chris Billing de tcg studio à Los Angeles, ne fait pas de différence entre travailler pour un film ou une série télévisée12. Qu’importe le média, c’est la relation avec le showrunner ou le réalisateur qui influe sur la qualité du générique. Il évoque également la concurrence entre les studios américains, quasiment tous basés à Hollywood. Les chaînes de télévision ou les producteurs ne créent pas de relation de fidélité avec un studio, mais peuvent au contraire en changer d’un programme à l’autre. Pour eux, il s’agit plutôt d’une prestation de service. Kook Ewo, réalisateur du générique de la série française Dix pour cent (Fanny Herrero, France Télévision, 2015 – 2020) et réalisateur de plusieurs génériques pour des productions américaines, raconte qu’aux États-Unis, il échange au moins avec le showrunner13 qui peut aussi être producteur, scénariste, réalisateur ou parfois acteur.

En ce qui concerne les productions européennes, Francesco Kurhajec de kmstudio à Rome, que j’ai pu interroger, travaille en tant que graphiste et motion designer pour le cinéma et la télévision. Il est, le plus souvent, contacté par des réalisateurs ou des showrunners plutôt que par des chaînes de télévision ou des sociétés de production. Au fil du temps, il a ainsi créé un « lien de fidélité » avec des réalisateurs qui font régulièrement appel à lui lors d’un nouveau projet. C’est également le cas en France comme me l’a confirmé Olivier Marquézy de La Brigade du Titre dans l’entretien que j’ai pu mener14. Avec Mathieu Decarli, ils ont réalisé les génériques des séries Le Bureau des Légendes (Éric Rochant, Canal+, 2015 – 2020) et Vernon Subutex (Cathy Verney, Canal+, 2019 –) pour Canal+. En France, comme La Brigade du Titre, certains studios sont spécialisés dans la création de génériques pour le cinéma, la télévision ou les plateformes de SVOD. Par exemple, Laurent Brett a co-fondé Brett & Cie, en 2013, après avoir travaillé dans les effets spéciaux au cinéma et en tant que créateur de génériques free-lance pendant plusieurs années. Il a réalisé des génériques pour France Télévision et pour Netflix. Laurent Brett considère qu’en France la création de générique de film et celle de séries sont dfférentes15. Dans le cas d’un film, il rencontre le réalisateur pour évoquer avec lui ce qu’il imagine comme possible générique, alors que dans le cas d’une série, c’est plutôt le producteur qui fait appel à lui, il ne rencontre alors presque jamais le showrunner.

On peut remarquer qu’en France, il n’y a aujourd’hui aucune récompense professionnelle dédiée aux génériques, que ce soit pour le cinéma ou les séries, lors des cérémonies officielles. En Angleterre, le meilleur générique de série est récompensé aux British Academy Film and Television Arts Awards (BAFTA) depuis 2006. Aux États-Unis, les Emmy Awards récompensent le meilleur générique de série chaque année. En France, face à ce manque, l’association We Love Your Names délivre le prix Rosalie du meilleur générique (tous supports confondus) lors de La Nuit du Générique.

D’après mes recherches et les différentes interviews de title designers que j’ai pu lire, réaliser un générique de film induit une relation souvent privilégiée lorsque le réalisateur est attentif à cette séquence. Dans le cas d’une série, la production qui est plus présente laisse moins de liberté créative.

Les titles designers travaillent avec deux acteurs de la création de séries : les producteurs pour les questions de budget, de cible, de durée, des mentions à inscrire au générique, et les showrunners pour les idées créatives. La bande-son a souvent été décidée auparavant, les titles designers doivent s’adapter à ce qui leur est transmis et n’ont que rarement d’échange avec le compositeur.

Showrunners

Si une séquence d’ouverture peut révéler des informations sur les conditions de sa production, peut-elle également être un support à un propos autre que la série qu’elle introduit ? Comment les showrunners, en collaboration avec les title designers, s’emparent-ils de cet objet graphique ? Certains réalisateurs de cinéma, comme Jean-Luc Godard, utilisent le générique comme un lieu d’expression en dehors de la fiction. Dans Tout va bien (Jean-Luc Godard, 1972), il avance un discours économique sur le cinéma par un plan fixe sur un chéquier, dont les chèques signés et arrachés un par un montrent les sommes nécessaires à la production d’un film. Ce générique met en scène l’économie du cinéma en elle-même.

Plus récemment, la créatrice de la série Smilf (Frankie Shaw, Showtime, 2017 – 2019), Frankie Shaw évoque un autre aspect de l’économie cinématographique et télévisuelle. Elle a réalisé un générique montrant le trajet en bus quotidien du personnage principal Bridgette. Cependant, celui du huitième épisode change, le titre est écrit en police de caractères Windsor, en blanc sur fond noir, un détournement des génériques des films de Woody Allen et notamment de Manhattan (Woody Allen, 1979) puisque la mélodie est la même qui ouvre ce film : Rhapsody in Blue. Dans la première scène qui suit, Bridgette, enfant, raconte l’attouchement sexuel qu’elle a subi de son père. Le titre de la série est précédé d’une citation de Woody Allen : « Le cœur veut ce qu’il veut. Il n’y a pas de logique à ça.16 » Dans le contexte, ce changement de générique est clairement un positionnement politique : Frankie Shaw exprime son soutien à la fille de Woody Allen, Dylan Farrow, qui a récemment porté plainte contre son père, et plus largement aux femmes qui ont témoigné dans le cadre du mouvement #MeToo. Pour Iris Brey, c’est une invitation à prendre les quelques secondes que nous offre le générique pour réfléchir « aux voix de femmes qui ne sont pas écoutées, parce qu’elles sont étouffées par le nom des grands hommes.17 »

Smilf Smilf Manhattan

Smilf, Frankie Shaw, Showtime, 2017 – 2019, saison 1 épisodes 2 à 7 et épisode 8, 00:32, musique de Andrew Bird, I was an orphan until you came along

Ainsi, à la télévision américaine, 75% des producteurs sont des hommes et 80% des personnes blanches. Le générique peut être un outil de lecture et d’analyse du fonctionnement de l’industrie hollywoodienne. Pour Maureen Ryan, rédactrice en chef des séries à Variety, les génériques révèlent qui a aujourd’hui le pouvoir de raconter des histoires18. En 2017, le générique de la série Better Things (Pamela Adlon et Louis C.K., FX, 2016-) co-créée par Pamela Adlon et Louis C.K. n’a plus mentionné le nom de Louis C.K. en tant qu’executive producer (poste important de supervision de la série à la production, l’écriture, le casting, la réalisation...) au cours de la saison 2. Entre la diffusion de l’épisode 9 et celle de l’épisode 10, Louis C.K. a avoué avoir commis des abus sexuels, après que le New York Times ait publié des témoignages l’accusant. La chaîne FX a alors mis fin à leur collaboration et a remplacé son nom par celui de Pamela Adlon. Son nom a pourtant été conservé en tant que co-créateur et co-scénariste. Cette situation est d’autant plus ironique que Better Things parle des comportements sexistes et misogynes que subissent les personnages féminins de la série. Ce changement au générique traduit un positionnement politique de la chaîne : retirer son nom n’annule pas le travail qu’il a fourni. Cependant, il ne touchera plus la même rétribution et ne pourra plus revendiquer la création de la série.

Récemment, le très prolifique showrunner Ryan Murphy a sorti une série satirique sur la politique américaine intitulée The Politician (Ryan Murphy, Brad Falchuk et Ian Brennan, Netflix, 2019 –). La série met en scène un riche lycéen californien qui étudie différentes stratégies en vue d’être élu président du conseil des élèves de son lycée. Le générique, réalisé par Heidi Berg et Felix Soletic du studio Elastic, montre des objets métaphoriques ou réellement présents dans la série. On aperçoit dans la séquence d’ouverture un ensemble de livres, un pour chaque président des États-Unis dans l’ordre de leur succession. Cependant, celui qui aurait dû porter le nom de Donald Trump a été remplacé par Idiot’s Guide to Clowning19. Ryan Murphy affirme clairement son opinion sur la présidence de Donald Trump. On aperçoit également, sur la même image, un badge humoristique They can’t lick our Dick20 en faveur de Richard Nixon. Il s’agit d’un slogan non-officiel, distribué par ses supporters. Ryan Murphy discrédite, par la présence de ces deux objets, les campagnes électorales qui sont des démonstrations vulgaires et ridicules. La série est une satire des mécanismes politiques mis en place lors des campagnes électorales, mais le générique cible plus directement certains hommes politiques. Cette image inscrit la série dans le contexte politique américain actuel.

The Politician

The Politician, Ryan Murphy, Brad Falchuk et Ian Brennan, Netflix, 2019 – , générique d’Elastic, saison 1, 01:25, musique de Sufjan Stevens, Chicago

D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que Ryan Murphy évoque la politique américaine. En 2017, le générique de la septième saison d’American Horror Story intitulée Cult (Ryan Murphy et Brad Falchuk, FX, 2017) mettait déjà en scène les candidats à la présidence, Donald Trump et Hillary Clinton. La première version réalisée par Kyle Cooper était très politisée, la production et Ryan Murphy ont décidé de ne garder que trois plans des candidats, car ce n’est pas le sujet de la saison. Ils sont représentés parmi des clowns et des personnages horrifiques.

American Horror Story: Cult, Ryan Murphy et Brad Falchuk, FX, 2017, générique de Kyle Cooper, 01:08, musique de César Dávila-Irizarry

Les séries, par leur vitesse de production, sont plus proches de l’actualité ou peuvent y réagir plus vite que le cinéma. De plus, les structures narratives des séries qui mettent en place plusieurs intrigues entremêlées et privilégient les personnages permettent d’aborder des sujets d’actualité sans que ceux-ci deviennent des éléments majeurs du scénario, mais comme un moyen d’ancrer le récit dans la réalité.

Un générique peut aussi inscrire la série dans une histoire plus large, l’intégrer dans un contexte historique, social ou politique. En 2014, la showrunner Jill Soloway a fait appel à Rhys Ernst pour le générique de Transparent (Jill Soloway, Prime Video, 2014 – 2019, générique de Rhys Ernst, saisons 1 à 5, 00:50, musique de Dustin O’Halloran). Cette série raconte le coming-out trans d’un père de famille sexagénaire. Rhys Ernst est un artiste vidéaste américain et est lui-même transgenre. Il a conçu le générique à partir d’images d’archives personnelles trouvées sur internet et d’images médiatiques. En particulier celles d’un documentaire datant de 1968 intitulé The Queen (Franck Simon, 1968) qui suit des participantes à un concours de Drag Queen, illégal à cette époque à New York. Rhys Ernst voulait montrer l’histoire de la communauté LGBTQ+ et plus spécifiquement transgenre en lui donnant la visibilité qu’elle ne pouvait avoir à l’époque21. C’est une façon de montrer que les questions transgenres existent depuis longtemps même si leur existence a été minimisée. Pour lui, inclure ces personnes dans le générique d’une série produite et diffusée par une plateforme de SVOD comme celle d’Amazon est un geste politique.

Transparent, Jill Soloway, Prime Video, 2014 – 2019, générique de Rhys Ernst, saison 1, 00:50, musique de Dustin O’Halloran

Des personnes se sont battues pour qu’il semble naturel à Amazon de produire une série qui aborde ces sujets aujourd’hui. Pour Zackary Drucker, co-productrice de la série, ce documentaire est essentiel pour comprendre d’où vient la communauté trans et ce qu’elle est aujourd’hui22. Le générique, construit comme un faux film de famille, intègre et mélange des images de la communauté LGBTQ+ et des fêtes familiales dans un montage idyllique, mais réjouissant.

Déjà au cinéma, Spike Lee avait conçu des génériques militants pour inclure celles et ceux qui n’étaient, ou ne sont toujours, pas assez représentés. Ces séquences d’ouverture entre hommage et revendications, montrent des images d’archives comme dans She’s Gotta Have It (Spike Lee, 1986) dans un but de mémoire de la communauté afro-américaine peu présente au cinéma.Le générique est parfois un lieu d’hommage et la trace d’un travail collectif. Élément final pensé à la fin de la production d’une série ou envisagé plus activement et plus en amont, il fait partie de la série. Il répond à des contraintes de temps, de budget... mais permet de livrer des clefs de lecture d’un récit et de capter l’attention du public.

Évolution des modes de visionnage

La télévision payante des années 1990

La fin des années 1990 et le début des années 2000 marquent un moment important dans la conception de séries aux États-Unis, notamment par la volonté de la chaîne de télévision HBO de créer des séries « de qualité ». Depuis, ce type de programme est considéré comme de la « télévision complexe » a contrario de programmes diffusés sur les networks, c’est-à-dire un ensemble de chaînes d’un même groupe, souvent jugé comme de moins bonne qualité. Ces nouvelles productions se rapprochent pour ce qui est des moyens techniques, de niveau de jeu d’acteur et de budget de celles du cinéma. HBO est une chaîne, dite « à péage », dont les programmes ne sont accessibles que par abonnement ou par paiement à la séance (pay-per-view). Elle échappe donc à la FCC (Federal Communication Commission) qui régule les contenus télévisuels et dispose ainsi de plus de libertés. En France, on peut rapprocher ce modèle de celui de Canal+ dont l’accès est partiellement payant. Les programmes gratuits sont diffusés « en clair », tandis que son signal est brouillé lorsque les programmes sont payants.

Chez HBO, la même exigence a été appliquée aux génériques : les producteurs font appel à des concepteurs de génériques extérieurs pour créer des séquences inédites de plus en plus travaillées et dont l’ambition se rapproche de celles produites pour le cinéma. Précédemment à la télévision, le fait de met-tre un nom sur une œuvre (pour une émission ou une série) était directement lié aux revenus générés par la publicité. Les séries télévisuelles étaient financées par les recettes, c’était alors à la publicité qu’il revenait de présenter la série. Le terme de soap opera, qui désigne aujourd’hui une série sentimentale américaine, vient du fait que certains feuilletons étaient présentés et introduits par une publicité pour du savon. Le générique de série tel qu’on le connaît aujourd’hui doit beaucoup à un cinéaste. Il a été initié dans les années 1950 par Alfred Hitchcock avec la série Alfred Hitchcock Presents (Alfred Hitchcock , CBS, 1955 – 1960). Aucune publicité ne sponsorisait la série puisque c’est Alfred Hitchcock en personne qui présentait les épisodes. Cette série est une anthologie de courtes histoires policières dont chaque épisode explore le genre. Alfred Hitchcock revient après chaque dénouement expliciter la morale de l’histoire. On peut noter qu’Alfred Hitchcock a été title designer à Londres avant d’être réalisateur de cinéma aux États-Unis. Ainsi, c’est un acteur important dans l’évolution des génériques de cinéma, mais également de télévision.

Alfred Hitchcock Presents, Alfred Hitchcock , CBS, 1955 – 1960

Les premières séries télévisuelles étaient produites et diffusées par des chaînes de télévision, publiques ou privées, gratuites ou payantes. Aujourd’hui, les séries sont diffusées sur de multiples médias qui déterminent des modes de consultation différents.

Binge watching, le générique devient un obstacle

Dans les années 1990, la commercialisation de DVD permet de visionner ou de revisionner des épisodes de série en dehors du flux télévisuel. C’est ainsi que se développe une pratique appelée le binge watching qui change considérablement la manière de regarder une série. Traduit par « visionnage compulsif » en français, il s’agit de regarder plusieurs épisodes à la suite, ou même une saison complète, en une seule fois. Popularisée plus récemment avec le succès de plateformes comme Netflix, elle était déjà pratiquée par le biais de l’enregistrement numérique, des VHS ou des DVD. Ce terme a été inventé par les fans de séries eux-mêmes23, alors libérés de la programmation des chaînes de télévision. Cette pratique attribuée dans un premier temps aux fans de séries est aujourd’hui généralisée et est presque devenue la norme. Binge watcher une série permet au spectateur de s’immerger dans un univers, mais peut aussi révéler certaines lacunes, imprécisions ou incohérences entre les épisodes qui ont été pensés et produits pour un visionnage hebdomadaire.

Une seconde pratique, beaucoup plus marginale, le speed watching consiste à accélérer la vitesse de visionnage entre 1,2 et 2 fois la vitesse normale. Le spectateur pressé peut alors terminer une série plus rapidement et ainsi absorber le flux massif de nouvelles séries.

Un second changement se fait via internet, qu’il s’agisse de téléchargement illégal, d’achat définitif ou de location pour un temps donné d’un programme. On trouve aussi la diffusion en mode continu, le streaming qui permet la lecture instantanée d’épisodes, directement dans le navigateur web sans téléchargement. En France, on peut citer la plateforme Dailymotion, la télévision de rattrapage (ou replay) des chaînes de télévision comme france.tv, ainsi que de nombreux sites donnant accès aux séries de man-ière illégale. La télévision donne aux spectateurs des repères temporels quotidiens ou hebdomadaires. Cependant, le spectateur tend vers une plus grande autonomie et grâce au streaming en ligne, il peut s’émanciper des contraintes de temps et de lieu. On peut alors, en théorie, regarder une série indépendamment de sa diffusion télévisuelle, à n’importe quelle heure, sur n’importe quel terminal, n’importe où. Ce phénomène a été appelé Atawad (Any time, any where, any device), marque déposée en 2002 par Xavier Dalloz Consulting24. Consciente de l’ampleur qu’allait prendre ce phénomène, cette société s’est assurée d’en avoir le monopole.

Le fait de télécharger ou de visionner des programmes non autorisés pose des questions légales, économiques et techniques, et ne proposent pas toujours les programmes en bonne qualité. Ainsi, est apparue la SVOD, ou vidéo à la demande par abonnement, qui propose sensiblement la même chose, mais avec une plus grande facilité d’utilisation.

Aujourd’hui, la majorité des séries est proposée par des plateformes de SVOD qui produisent et diffusent leurs programmes. La SVOD donne accès à un catalogue de programmes en échange d’un abonnement payant et sans publicité. C’est le cas de myCanal, la plateforme de la chaîne de télévision française Canal+ qui diffuse aussi des séries produites par des chaînes étrangères. Les plateformes les plus populaires sont américaines : Netflix, Prime Video, OCS... Une collaboration entre plusieurs chaînes de télévisions françaises (TF1, M6 et francetélévision) vient de lancer une plateforme nommée Salto.

Ces plateformes mettent en avant l’autonomie qu’elles offrent aux spectateurs, la liberté quant aux choix de contenu, de lieu et de temps. Une étude menée en 2018 auprès d’étudiants par Catherine Dessinges et Lucien Perticoz25 montre qu’ ils utilisent Netflix d’abord pour sa facilité d’utilisation et le confort offert par une plateforme légale, mais qu’ils ne sont pas toujours satisfaits par le catalogue des programmes. Nombreux continuent à visionner illégalement d’autres séries qui les intéressent sur internet. En 2021, cela a sûrement changé puisque leur étude montre déjà une évolution vers une plus grande appréciation des programmes entre 2018 et 2019.

Ensuite, ces plateformes proposent l’intégralité des épisodes d’une saison au même moment. Les spectateurs savent à l’avance combien de temps il leur faudra pour regarder une série et peuvent adapter leur mode de visionnage (3 épisodes par semaine sur un mois, 6 épisodes en une soirée...). Clément Combes relève que les personnes qu’il a interrogées sont soucieuses qu’une série est une « vraie fin »26. À la télévision, une série peut s’arrêter brutalement après n’importe quelle saison ou n’importe quel épisode si elle n’a pas eu une audience suffisante. Certaines séries se finissent sur un élément sous-entendant qu’il va y avoir une suite, et sont stoppées par la production. Certains spectateurs privilégient alors une série avec une clôture narrative.

Dans les années 1990 et 2000, les chaînes de télévision commandaient à des sociétés de production quelques épisodes, puis les diffusaient27. Un générique était réalisé à ce moment-là à partir de ces premiers épisodes. La chaîne recommandait ensuite d’autres épisodes ou arrêtait la série si les audiences étaient trop faibles. Aujourd’hui, les plateformes de SVOD commandent une série entière, avec une fin pensée comme telle. Le générique est alors conçu dans le cadre d’un projet fini plus précis, et éventuellement dans une forme évolutive, une question qui sera approfondie plus tard dans la cinquième partie.

Le générique de série télévisuelle avait un rôle de rituel ouvrant une soirée devant la télévision. Catherine Dessinges et Lucien Perticoz constatent que les pics d’abonnés utilisant une plateforme de SVOD correspondent aux horaires de la télévision, en ce qui concerne les séries. Les chaînes de télévision faisaient correspondre « de façon heureuse les rythmes des programmes et la vie familiale des téléspectateurs » selon Jean-Pierre Esquenazi28. La vie familiale ou sociale a semble-t-il peu changé par rapport au moment où les séries étaient regardées à la télévision. Ces auteurs relèvent cependant que les jeunes, puisque c’était le sujet de leur étude, visionnent de manière beaucoup plus solitaire la SVOD que la télévision. Depuis peu, une nouvelle fonctionnalité est apparue sur certaines plateformes ou via des navigateurs, elle permet de regarder en simultané avec un ou plusieurs comptes un même programme au même moment, accompagné d’une messagerie instantanée. Développée par le confinement lié à la Covid-19, elle tente de recréer un mode de visionnage collectif en famille ou entre amis à distance.

Les plateformes de SVOD stimulent une consommation élevée de leurs contenus en captant le maximum d’attention possible de la part des spectateurs. Ainsi, les génériques d’ouverture et de fin deviennent des séquences marginales d’un épisode qui peuvent être zappées par les spectateurs et ainsi réduire l’écart narratif et structurel entre un film et une série. Cet écart est aussi réduit par la qualité grandissante des séries depuis les années 1990 qui s’apparente à celle du cinéma. Les moyens investis ont aussi profité aux génériques et ainsi diversifié les formes. Toutefois, depuis les années 2000, les génériques d’ouverture de séries tendent à se réduire de plus en plus. Le générique devient une séquence inutile redondante. Lorsqu’un ou deux épisodes étaient diffusés à une semaine d’intervalle à la télévision, le générique permettait de se replonger dans la série. Il servait de signal donné aux spectateurs pris dans leurs occupations. Ici, contrairement au cinéma, le générique doit donner envie aux téléspectateurs de continuer à regarder puisqu’ils peuvent changer de chaîne ou éteindre leur poste.

Lorsque les structures sérielles se sont éloignées du schéma « un épisode = une intrigue » et sont devenues feuilletonnantes, une séquence de rappel narrative des anciens épisodes a été introduite au début de l’épisode. Le plus fréquemment placée avant le générique, certaines séries comme la série policière The Killing (Søren Sveistrup, DR1, 2007 – 2012) mêle dans sa séquence d’ouverture des images des faits passés et les mentions nominatives identiques d’un épisode à l’autre. Son générique avait été pensé en fonction du rappel de l’avancée de l’enquête. Aujourd’hui, les montages résumant les épisodes précédents tendent à disparaître, avec la télévision de rattrapage puis la VOD, il est difficile de rater des épisodes. Mais quelques rares exemples diffusés à la télévision peuvent persister.

Le début d’un épisode peut prendre de multiples formes. Il n’y a plus de structure type, le générique peut être placé en premier ou après une ou plusieurs scènes. Placée avant le générique, la première scène qui ouvre l’épisode, s’appelle un cold open. Le spectateur est tout de suite plongé dans l’action. C’est une stratégie télévisuelle très répandue qui tente de happer le spectateur le plus vite possible. En littérature, ce procédé se nomme in medias res, le lecteur est placé au milieu d’une action dès le début du livre, il n’a connaissance du contexte qu’après-coup. Dans le cas d’une série, le générique étant repoussé, c’est le cold open qui met le spectateur dans l’ambiance du récit de manière plus brutale.

S’il est considéré trop long et déjà connu par les spectateurs, le générique a tendance à être zappé par une accélération de la vitesse de lecture, d’abord manuellement avec la télécommande puis grâce à un bouton avec la souris. La plateforme Netflix, suivie par d’autres plateformes de SVOD, propose depuis 2018 une fonction « passer l’introduction » qui zappe le rappel aux épisodes précédents et le générique d’ouverture. La plateforme justifie cette démarche ainsi : « Lorsque vous regardez plusieurs épisodes d’une série sur Netflix, l’option Ignorer l’introduction peut s’afficher au début de certains épisodes. Elle vous permet de passer l’introduction et d’entrer directement dans le vif du sujet, sans avoir à revoir la même séquence lorsque vous enchaînez plusieurs épisodes de votre série préférée.29»

Les plateformes de SVOD font cependant régulièrement appel à des sociétés de création de génériques et à des title designers reconnus pour leurs productions. Par exemple, le générique de la série de science-fiction Altered Carbon (Laeta Kalogridis, Netflix, 2018 – 2020), sortie en 2018, dure une minute et trente-sept secondes. Il s’agit d’une séquence animée à dominante colorée noir et rouge. Des gros plans nous montrent des éléments organiques et futuristes, ainsi qu’un serpent mutant. Ces plateformes n’hésitent pas à investir dans un générique qu’elles veulent remarqué, séduisant et apprécié par les fans. Voici un paradoxe qui montre que le générique n’a pas perdu toute son utilité. La mise en place du bouton « passer l’introduction » demande aux créateurs de génériques de redoubler d’imagination pour que les spectateurs ne soient pas tentés de l’utiliser.

Si la structure sérielle implique un générique d’ouverture à chaque épisode, elle implique également un générique de fin. Le générique de fin est un moment de contemplation, d’évaluation et de réflexion autour de ce qu’on vient de voir. À la télévision, il est accéléré ou parfois réduit en parallèle d’une publicité pour la chaîne. Sur les plateformes de SVOD, ces séquences sont zappées automatiquement. Le générique de fin du dernier épisode s’affiche quelques secondes puis se réduit dans un coin de l’écran et un décompte se met en place pour visionner la bande-annonce d’un autre programme. Même si on choisit de visionner le générique, la vitesse d’affichage est souvent bien trop rapide pour pouvoir lire confortablement les mentions. Dans tous les cas, lire un générique de fin est une opération complexe.

Francesco Kurhajec du studio italien kmstudio que j’ai pu interroger sur son travail pour The New Pope (Paolo Sorrentino, HBO/Sky/Canal+, 2020) (développé dans la cinquième partie) m’a expliqué que la vitesse du générique de fin est souvent guidée par la musique. Il fait attention à ce que le défilement des crédits ne soit pas trop rapide afin d’éviter un « effet de scintillement » et que le spectateur n’ait pas l’impression que le texte « saute ». Il y a donc un juste-milieu à trouver entre une séquence trop longue, incompatible avec le temps d’antenne de la télévision ou le temps d’attention du spectateur pour les plateformes de SVOD, et une impression de pouvoir lire les crédits.

Récemment, la mini-série produite par Netflix The Queen’s Gambit (Scott Franck et Allan Scott, Netflix, 2020) s’ouvre par des génériques-titre très courts, mais le générique de fin du dernier épisode est un véritable générique d’ambiance de trois minutes qui clôture la série. Une succession d’animations, inspirées par la géométrie d’un plateau d’échecs d’une série prenant place dans les années 1960, rappelle les génériques de Saul Bass. Ces animations hypnotiques, réalisées avec Processing, distraient un peu la lecture et les crédits des équipes techniques passent très rapidement. Cette séquence donne pourtant une certaine visibilité à ceux qui ont contribué à la série, et elle accompagne les spectateurs à en quitter l’univers.

Les showrunners de la série avaient, dans un premier temps, écrit un scénario de film qu’ils n’avaient pas pu concrétiser30. Plusieurs années après, ils ont finalement réalisé une mini-série dont Netflix a déjà annoncé qu’elle ne serait pas suivie d’une deuxième saison. Cependant, ce générique de fermeture montré à la toute fin de la série questionne la frontière devenue floue entre film et mini-série. La structure créée par le placement des séquences de titres et des crédits de fin témoignent de l’évolution même des formes de narration sérielle amenée par les plateformes de SVOD.

La répétition du générique d’ouverture et de fin est ce qui assure la structure même d’un récit sériel. Cela participe à l’attachement que certains spectateurs peuvent avoir à un programme. Le modèle de la diffusion télévisuelle révélant deux ou trois épisodes à une semaine d’écart, fait grandir l’attente et donc cet attachement. Le générique est alors comme un rituel qui annonce un moment de retrouvailles avec des personnages et des lieux devenus familiers et des intrigues. Le modèle des plateformes de SVOD, qui consiste à mettre à disposition une saison entière, comportant souvent moins d’épisodes qu’à la télévision, transforme en quelque sorte une saison en un long film. C’est une expression qui revient dans l’enquête de Clément Combes31 pour qualifier des séries de six à huit épisodes que l’on peut, si on le souhaite, regarder en une ou deux séances. C’est également le constat de Claire Cornillon, qui remarque que « Netflix fait en sorte de produire de grands films avec une intrigue unique.32 » La répétition du générique devient alors un obstacle à la continuité du récit.

Cependant, le générique fait partie de l’épisode, il encadre l’expérience de visionnage et permet de conserver la fragmentation d’une saison. Le binge watching ne revient pas à voir un seul et même long métrage, mais des épisodes individuels constituant une œuvre plus grande. Même si les séquences marginales sont extrêmement réduites, elles existent encore un peu : le temps de valider le passage du générique d’ouverture, et les quelques secondes du générique de fin avant que le prochain épisode ne s’enclenche.

Les différences majeures entre la production de génériques pour le cinéma et pour les séries reflètent la manière dont les œuvres sont produites et dont elles sont reçues par les spectateurs. Qu’est-ce que ces contraintes, liées à la production et à la réception télévisuelle, impliquent en terme de formes ? Le cinéma a beaucoup influencé les formes de génériques de télévision, mais les plateformes de SVOD, qui ont bouleversé les productions, ont imposé de nouvelles manières de concevoir les génériques.

Typologie du générique de série de fiction

Le générique d’ouverture d’une série peut prendre de multiples formes. Il n’y a pas de règles constantes quant à sa durée ni aux mentions qu’il doit présenter. On peut cependant définir des catégories en fonction du type de générique, certains sont plus fréquents dans un genre particulier. En voici une classification, qui n’est toutefois pas exhaustive, de nombreux contre-exemples existent, tandis que d’autres mélangent plusieurs types.

Actuellement, les deux types de génériques les plus répandus sont ceux du générique d’ambiance et du générique-titre. Le générique d’ambiance permet de créer une séquence se focalisant sur des images symboliques, un nombre important de noms sont cités même s’ils sont souvent plus discrets que dans un générique-titre. Ce type de séquence qui donne l’opportunité aux créateurs de cacher des éléments à destination des fans, peut connaître une deuxième vie autonome sur internet comme un genre de court métrage. Le générique-titre plus court aura quant à lui moins de chances d’être zappé sur les plateformes de SVOD, même s’il cite moins de noms. Mais avant cela, le générique-seuil est un type qui nous éclaire sur la nature même d’une séquence d’ouverture.

Typologie

Générique-seuil, entrée dans la fiction

Qu’importent leurs formes, les génériques ont tous une fonction de seuil, d’ouverture, de passage vers la fiction. Ainsi, nombre de génériques sont conçus à partir de la symbolique du trajet, qui évoque une notion de parcours, de mouvement, parfois même au sens littéral. Laurence Moinereau propose le terme de « motif d’ouverture33 » pour qualifier ces formes visuelles qui traduisent visuellement ou symboliquement un début. Elle qualifie aussi celles qui évoquent le cinéma en lui-même et développe l’exemple de Mean Streets (Martin Scorsese, 1973) qui montre un projecteur puis les images projetées par celui-ci. On y voit les personnages du film dans leur quartier à New York et célébrant un baptême comme dans un film amateur qu’ils auraient tourné eux-mêmes.

Ces séquences d’ouverture sont des illustrations de la fonction de seuil ou de passage. On entre littéralement avec les personnages dans chaque épisode. Les génériques cherchent à agir sur le spectateur pour lui livrer la meilleure lecture possible d’un épisode par des éléments permettant une immersion narrative. Ce type de générique est appelé « générique-seuil », il embarque le spectateur avec le personnage principal vers la fiction par une mise en abyme, à commencer par celui de The Sopranos (David Chase, HBO, 1999 – 2007). Cette série use du mode de narration émergent à ce moment-là qui consiste à étaler l’histoire sur une saison entière. Son générique est devenu une référence pour ce type de séquence, même si le créateur de la série David Chase y accorda peu d’importance au moment de la conception34. Il tourna les images vers la fin de la réalisation de la série et avec peu de budget. De plus, il n’aimait pas le logo proposé par une agence de publicité qu’il utilisa tout de même pour le titre. Le générique nous place à hauteur du personnage principal lors d’un trajet en voiture de New York jusqu’au New Jersey.

The Sopranos, David Chase, HBO, 1999 – 2007, saisons 1 à 6, 01:37, musique d’Alabama 3, Woke Up This Morning

Ce générique appartient à la fiction, car les plans montrent un moment qui participe au récit. Cependant, la lecture de la séquence est double puisque les crédits affichés n’appartiennent pas à la fiction, mais répondent à la fonction informative du générique. C’est à ce moment-là que se rejoignent la réalité économique et le monde de la série. Tony Soprano nous conduit dans chaque épisode.

Le générique de Doctor Who (Sydney Newman et Donald Wilson, BBC, 1982) peut aussi être considéré comme un générique-seuil, il est conçu comme un portail spatio-temporel vers les mondes parallèles que va explorer le personnage principal au fil des épisodes. Certaines séries fantastiques utilisent ce mouvement du travelling avant pour donner au spectateur l’impression de se projeter en avant dans l’image, et dans le temps.

Doctor Who: Castrovalva, Sydney Newman et Donald Wilson, BBC, 1982, générique de Verity Lambert, Robert Lodge et Norman Taylor, saison 19 et 20, 00:50, musique de Ron Grainer

Les génériques-seuils évoquent tous le commencement, certains en incluant le personnage principal : le début d’une journée par le petit-déjeuner pour celui de Dexter (Jeff Manos Jr., Showtime, 2006 – 2013) ou par le trajet en bus quotidien pour Smilf. Ce dernier générique montre le personnage dans un mouvement linéaire vers la droite qui nous conduit jusqu’à la première action.

Le « motif d’ouverture » peut sembler être une notion vaste qui, à mon sens, peut comprendre beaucoup de génériques différents, dont l’utilisation des analogies théâtrales ou littéraires pour ouvrir et fermer le récit cinématographique. Le générique de Oscar (John Landis, 1991), film adapté de la pièce de théâtre du même nom de Claude Magnier, s’ouvre par une levée de rideau. D’autres exemples plus anciens mettent en scène des livres dans leurs scènes d’ouverture et de fermeture, souvent lorsque les films sont adaptés de romans. En 1937, Elephant Boy (Robert J. Flaherty, 1937) s’ouvre par un plan fixe sur les pages d’un livre qui se tournent et se termine par ce même livre refermé par une main qui entre alors dans le champ. Les mentions apparaissent page après page au rythme du feuilletage de l’ouvrage. Cette séquence est en volume, contrairement à la majorité des génériques de l’époque. La matérialité du livre a également été investie dans l’ouverture de The Fountainhead (King Vidor, 1949) dans laquelle un building se révèle être la tranche d’un livre, malgré l’approximation de la perspective.

À l’inverse, certaines formes d’ouverture de livres peuvent sembler prendre leur inspiration dans les génériques, ou en tout cas dans le cinéma, dont certaines couvertures et pages liminaires des livres parus dans les différents Clubs du livre dans les années 1950. Robert Massin, qui a réalisé plusieurs de ces ouvrages, distingue ces livres des livres luxueux plus traditionnels par l’influence populaire du cinéma : « on a voulu introduire dans le livre courant, objet statique, les méthodes dynamiques du cinéma.35 » Il assimile la mise en pages à la mise en scène de théâtre ou de cinéma. À la fin des années 1940, il relève que « tout autour de nous s’était mis soudain à bouger. Journaux lumineux, enseignes clignotantes, présentoirs tournants...36 » ainsi que les génériques de cinéma qui influencèrent ses mises en pages, alors qu’il n’avait pas encore vu ceux de Saul Bass. Cependant, selon lui, si la mise en pages d’un livre peut se rapprocher de la dynamique cinématographique, la mise en scène de la télévision est comparable à celle des magazines. Le visionnage est individuel et on n’est pas destiné à s’y attarder.

Massin 1

Massin 2

Massin 3

Colline, Jean Giono, 1953, Le Club du meilleur livre, Paris, mise en pages de Robert Massin

La couverture d’un livre ou le générique d’une série qui introduisent le récit n’en révèlent presque rien. Ils entretiennent le mystère et suscitent la curiosité des lecteurs et des spectateurs. Une forme de génériques, très inspirée de ceux du cinéma, exploite cette entrée énigmatique dans le récit, parfois en décalage avec le ton de la série par des plans ou une bande-son surprenants.

Générique d'ambiance, corbeaux et formol

Le générique d’ambiance, apparu dans les séries américaines, s’est construit en opposition au générique-portraits, cette forme fait se succéder des images figées des personnages. Au cinéma, le tout premier « plan-portrait » a été réalisé en 1903 dans le générique du film The Great Train Robbery (Edwin S. Porter, 1903). Il marque un tournant dans la manière d’envisager la conception d’un générique où les personnages/acteurs n’étaient pas encore présents. Un personnage tient son pistolet face à la caméra, le réalisateur a voulu provoquer un échange entre le film et les spectateurs et témoigne encore de l’influence du théâtre dans le générique.

À la télévision, le générique-portraits était beaucoup employé dans les années 1970/1980. C’est l’avènement des networks américains et de leurs programmes familiaux qui l’ont développé, et ainsi structuré le générique de série. Les personnages sont présentés un à un dans une succession de « plans-portraits37 » fixes ou en mouvement, avec ou sans regard caméra, dans différentes facettes de leur personnalité. Les plans montrent des personnages joyeux, à la manière d’un album photos, comme dans le générique de Dallas (David Jacobs, CBS, 1978 – 1991). Ce type de séquence n’est pourtant pas le plus répandu en nombre même s’il était très présent dans les années 1980. Par la suite, les séries télévisuelles tentent d’être plus proches de la réalité et abordent des questions sociales. La série Hill Street Blues (Michael Kozoll et Steven Bochco, NBC, 1981 – 1987), qui montre des policiers dans un quartier populaire aux États-Unis, s’ouvre par des voitures de police prenant la route sur une musique dramatique. Les génériques se diversifient à l’instar des thèmes abordés par les séries et ne sont plus forcément grandiloquents. Mais ce qui semble pourtant encore systématique est la présentation des acteurs un par un, par un arrêt sur image sur chaque personnage. Le générique se construit comme un lien entre le spectateur et la fiction, les personnages viennent à la rencontre du public.

Dallas, David Jacobs, CBS, 1978 – 1991, saison 1 à 14, 00:10, musique de Jerrold Immel

Progressivement, le générique-portrait a été petit à petit abandonné par les chaînes de télévision. Aujourd’hui, il semble ringard et n’est plus que rarement présent pour des séries diffusées à la télévision durant l’après-midi, à destination d’une audience âgée qui retrouve des codes éprouvés.

Dans les années 1990, se développe la forme du générique d’ambiance, aussi nommé « générique court métrage » ou « générique thème » selon Laurence Moinereau38 ou encore « générique-trope » selon Gilles Bonnet39, forme dans laquelle on ne voit plus les acteurs. Des images métaphoriques, associées à une ambiance colorée, un rythme et une bande-son, présentent l’univers de la série. Cette forme consiste à ne pas réutiliser des images issues des épisodes, ni à montrer les personnages, mais d’en élaborer de nouvelles évoquant plus globalement les thèmes abordés dans la série. Ces séquences deviennent alors plus mystérieuses et font participer le spectateur dès le générique. Ce type de générique continue à évoquer les personnages mais d’une manière détournée. Par exemple, celui de la série policière Twin Peaks (Mark Forst et David Lynch, ABC, 1990 – 1991) utilise des images du lieu où se situe l’action : la scierie, la cascade aux pieds du Great Northern Hotel, puis le lac près duquel le corps de Laura Palmer a été retrouvé. Ce type de générique tente ainsi de révéler l’ambiance et l’état d’esprit des personnages à travers les décors. On peut ainsi définir une sous-catégorie au générique d’ambiance que Gilles Bonnet propose de nommer « génériques-site40 ».

Twin Peaks, Mark Forst et David Lynch, ABC, 1990 – 1991, générique de Pacific Title and Art Studio, saisons 1 à 2, 01:35, musique d’Angelo Badalamenti

Le générique d’ambiance est développé aux États-Unis par les chaînes de télévision à péage, notamment HBO avec l’ambition de produire des séries télévisuelles exigeantes, elles font alors appel à des title designers ou des studios spécialisés pour réaliser des génériques d’ambiance qui s’inspirent des productions du cinéma.

Un des premiers génériques d’ambiance commandé par HBO, est celui de la série Six Feet Under (Alan Ball, HBO, 2001 – 2005). La série raconte le quotidien des pompes funèbres des frères Fisher à Los Angeles. À la mort du père, victime d’un accident de corbillard, les deux fils doivent reprendre l’entreprise familiale. Ce générique a été réalisé par le studio Digital Kitchen. Danny Yount, son directeur artistique, a reçu le thème musical de Thomas Newman qui serait celui du générique et devait alors créer des images à partir de la bande-son41. Danny Yount a eu l’idée d’illustrer une journée de travail, car pour lui, la musique évoque quelqu’un qui travaille. Beaucoup d’images sont des plans serrés sur des objets ou des éléments qui dépeignent le travail des frères Fisher. Ce type de plan est caractéristique des génériques d’ambiance. On voit des mains, un bouquet de lys fanés, des photos de famille, des produits de thanatopraxie, le cou ou les pieds d’un cadavre... Plusieurs plans sur un corbeau, symbole de mort, complètent la séquence. Ces images de corbeaux ont été prescrites par la production, Danny Yount sous-entend, dans son interview donnée à Art of the Title42, que ce n’était pas sa volonté.

Six Feet Under, Alan Ball, HBO, 2001 – 2005, générique de Digital Kitchen, saisons 1 à 5, 01:47, musique de Thomas Newman

Quant à la typographie, il voulait donner l’impression que les mots se transforment en cendres, véritable défi technique et visuel pour l’époque. Il existe deux versions du générique, une avec cette animation et l’autre sans. Le nom du showrunner, gravé sur une tombe, annonce le ton parfois drolatique de la série. Le générique présente une ambiance macabre, créée par les couleurs froides et la présence du blanc dans de nombreux plans. Il y a dans la série de nombreux fondus au blanc entre les scènes. Danny Yount remarque que malgré l’omniprésence de la mort, les images sont très esthétiques, appuyées par la douceur des mouvements de caméra. Le spectateur comprend tout de même que l’on va parler de la mort sans tabous.

Cette imagerie de la mort magnifiée peut faire référence à certaines peintures dont La Mort de Marat (Jacques-Louis David, 1793) où le cadavre est sublimé. Le bouquet de lys du générique évoque le tableau Lys du Japon (Henri Fantin-Latour, 1866) dont les fleurs sont tournées vers le sol. Cette séquence fait écho au travail des frères Fischer qui prennent beaucoup de soin à maquiller les corps des défunts pour les présenter à leur famille. Ils parlent parfois de ce qu’ils réalisent comme de l’art.

L’une des caractéristiques du générique d’ambiance est le décalage produit entre la répétition de celui-ci et le contenu des différents épisodes. Il suscite la curiosité des spectateurs et inspire d’autres interprétations de la série au fur et à mesure de son visionnage.

Alan Ball a qualifié le générique de Six Feet Under ainsi : « Élégant, cinématographique, si différent de la télévision.43 » Pour Ariane Hudelet44, les génériques les plus ambitieux sont les moins réalistes et ayant une ambition symbolique. Ils stimulent la curiosité des spectateurs, ils parlent de la série et de ses personnages sans les révéler totalement.

Cependant, les génériques d’ambiance peuvent ainsi être perçus comme des séquences longues et redondantes, qui après avoir été visionnées une première fois deviennent lassantes et inutiles. Le générique d’ambiance complet de Desperate Housewives (Marc Cherry, ABC, 2004 – 2012) est supprimé dans les épisodes 7 et 8 de la deuxième saison, seule une image fixe avec le titre de la série revient à partir de l’épisode 9. La séquence complète est un montage d’animations d’œuvres picturales américaines. L’image conservée est une réinterprétation du tableau de Lucas Cranach L’ancien : Adam et Ève (1528). Une pomme, sur laquelle est inscrit le titre de la série, tombe de l’arbre de la Connaissance et écrase Adam. La séquence passe ainsi de quarante à trois secondes, elle devient alors un générique-titre.

Générique-titre, lieu typographique

Depuis le milieu des années 2000, se développe le « générique-titre » ou « générique-carton » dans les séries. Il s’agit d’une séquence rapide, majoritairement typographique, sans plans montrant les lieux ou les acteurs. Première forme du générique de film, il a toujours été très présent au cinéma, mais les séries télévisées n’y avaient auparavant que rarement recours.

Renouons avec le cinéma pour comprendre d’où vient cette forme. Les mentions du générique de film des premiers temps, avant 1900, correspondaient au titre, à la date et parfois à un synopsis du film45. Les titrages peints à la main étaient propres à chaque genre cinématographique. Les studios de productions ont défini, au fil du temps, des caractéristiques de dessin reconnaissables. Il n’y avait pas de bande-annonce, on décidait alors quel film aller voir par son affiche et donc aussi par son titrage. Les studios commencèrent par produire des cartons pour les films muets. Puis quand le parlant est apparu, ils se sont reconvertis dans la post-production et la conception de titrages. Aujourd’hui, tout est réalisé numériquement, mais le principe reste le même, l’accent est porté sur le texte. Souvent sur un fond noir, certains génériques proposent un fond, statique ou non, sur le modèle de ce qu’on appelait des génériques « nature morte » au moment de leur émergence dans les années 1940. Ils étaient composés d’un fond d’accessoires se référant à des compositions picturales comme ceux de Penny Serenade (George Stevens, 1941) ou de I’ll Be Seeing You (William Dieterle, 1944).

Penny Serenade

Penny Serenade, George Stevens, 1941

I'll Be Seeing You

I’ll Be Seeing You, William Dieterle, 1944

À la télévision, il y a peu d’archives de génériques d’émissions ou de feuilletons. Dans les années 1940, il s’agissait essentiellement de cartons filmés et diffusés en direct46. Ils se sont ensuite développés dans les années 1950, puisque les feuilletons étaient enregistrés. Assez peu utilisé pour la fiction à la télévision, il fait son retour dans les années 2000. Ce type de générique très court a l’avantage de réduire le temps d’antenne d’un épisode et de ne pas lasser le spectateur lorsque plusieurs épisodes étaient diffusés à la suite. Une des premières séries à concevoir un générique-titre est Lost (Jeffrey Lieber, J. J. Abrams et Damon Lindelof, ABC, 2004 – 2010). Il dure 17 secondes, avec le logo de la production. Cette séquence semble être une version de travail par son aspect inachevé de sa modélisation 3D. Sa bande-son évoque plus un bruit que de la musique, qui nous plonge immédiatement dans un univers angoissant.

Lost, Jeffrey Lieber, J. J. Abrams et Damon Lindelof, ABC, 2004 – 2010, saisons 1 à 6, 00:14, musique de Michael Giacchino

Gilles Bonnet considère ce type de générique comme « le degré zéro du générique47 » et ironise sur l’intérêt qui peut être porté à la simplicité de ces séquences d’ouverture. Laurence Moinereau, quant à elle, dans son article « Générique et récit : modalités de gestion d’un écart48 » évoque « le degré zéro de la narrativité », plutôt que celui du générique dans son ensemble. Il lui semble tout de même difficile de trouver des génériques qui n’ont « rien à voir avec le récit. » Effectivement, tout dans un générique est important, la typographie, même sans mouvement, évoque déjà le récit à venir. Les choix typographiques sont, dans la majorité des cas, associés à une bande-son. Ce type de générique redonne toute son importance aux mentions qui ont pu être négligées ou plus discrètes dans les génériques d’ambiance des années 2000. Karen L. Thorson qui a réalisé les génériques d’ambiance de The Wire (David Simon et Ed Burns, HBO, 2002 – 2008) et de Treme (David Simon et Eric Overmyer, HBO, 2010 – 2013) explique dans une interview donnée à Éric Vérat49, qu’elle travaille d’abord sur les plans et le montage d’une séquence. Ce montage sans les mentions s’appelle en anglais generic, cette séquence sera ensuite communiquée aux diffuseurs étrangers qui pourront y ajouter les mentions traduites. Elle se concentrait essentiellement sur les images, et ajoutait en dernier les mentions en surimpression.

Ce type de séquence privilégiant la typographie et la musique peut être exploré de bien des manières différentes. Le texte peut être introduit dans le champ de plusieurs façons : soit en surimpression, soit intégré aux images par des jeux de profondeur. Il peut aussi être déjà présent dans le flux diégétique. Le médium du film offre une profondeur et une surface d’action large au-delà des limites du cadre. Les techniques cinématographiques de mouvement de caméra (fondu enchaîné, volet linéaire, balayé...) s’appliquent alors à la typographie. Les génériques-titre se révèlent ainsi tout aussi riches que des génériques plus longs.

Un exemple de « générique-titre » qui en montre les multiples possibilités est celui de Stranger Things (Matt Duffer et Ross Duffer, Netflix, 2016 – ). Sa création a été dirigée par Michelle Dougherty du studio Imaginary Forces (anciennement R/GA fondé par les frères Greenberg) qui considère cette séquence comme « la concrétisation du pouvoir des polices en mouvement et de l’énorme puissance de la nostalgie.50 » Cette série fantastique qui se déroule en 1983 à Hawkins dans l’Indiana aux États-Unis, raconte la recherche de Will Byers, porté disparu, par sa famille et ses amis. Le générique fait référence aux années 1980 dans le choix de sa police de caractères. Le titre de la série apparaît après une succession de plans abstraits en mouvement énigmatiques qui se révèlent finalement être les contours lumineux du titrage. On le découvre dans un mouvement final de zoom arrière.

Stranger Things, Matt Duffer et Ross Duffer, Netflix, 2016 – , générique de Imaginary Forces, saisons 1 à 3, 00:53, musique de Kyle Dixon et Michael Stein

La mise en mouvement de la typographie crée une transition vers la fiction qui bouleverse le cadre. Cette séquence peut être considérée comme hybride entre un « générique-titre », l’unique élément est le titre au contour rouge, et un « générique d’ambiance » puisque qu’aucune image de la série ou du casting n’est montrée.

Les créateurs de la série revendiquent l’inspiration de Richard Greenberg (Alien, The Dead Zone, The Goonies) et des couvertures de romans de Stephen King parus dans les années 1980. On retrouve l’utilisation de la couleur rouge caractéristique de la littérature d’épouvante. L’idée était alors de créer une ambiance par la couleur et la police de caractères. Les créateurs ont choisi le caractère Benguiat pour le titre de la série et des épisodes. Cette police est dotée d’empattements similaires à ceux des couvertures des Stephen King, la première et la dernière lettre du mot Stranger sont agrandies sur le même principe que le nom de l’auteur sur la couverture de Different Seasons et de Christine. Les mentions sont en blanc, superposées aux images du titre, en Avant Garde Gothic, une linéale grotesque.

Stephen King - Different Seasons

Different Seasons, Stephen King, Viking Press, New York, 1982

Stephen King - Christine

Christine, Stephen King, Viking Press, New York, 1983

L’équipe de Michelle Dougherty a commencé la conception du générique avant le tournage de la série, elle a donc travaillé sur une séquence inspirée des années 1980, communiquant une ambiance mystérieuse et inquiétante. Elle avait reçu une version de travail du thème musical composé par Kyle Dixon et Michael Stein. Elle voulait réaliser le générique de manière optique comme dans les années 1980. Avec son équipe, elle a expérimenté des jeux de lumière en passant une lampe derrière des impressions du titre sur des feuilles transparentes. Puis la visite du title designer Dan Perri (Star Wars, Taxi Driver, The Warriors) l’a fait changer d’avis, l’incitant à profiter des techniques actuelles. Ces essais leur ont permis de voir le rendu produit si les images avaient été réalisées manuellement et mieux simuler le grain dans la lumière rouge ou les bords imparfaits des lettres.

Pour Michelle Dougherty, le fait que les showrunners s’intéressent aux génériques et qu’ils connaissent l’importance d’avoir une séquence marquante a largement participé au succès de celui de Stranger Things auprès des spectateurs.

Les génériques-titre illustrent le statut ambigu et double du texte à l’écran qui est donné à lire, mais aussi à voir. Dans un générique de film ou de série, le texte devient en un sens image. Il est principalement constitué de mots ou d’ensembles de mots et non de phrases. Le texte est fragmenté, on peut alors considérer qu’il est monté comme le sont les images. Le regard du spectateur est guidé par le montage effectué par le réalisateur, il lui impose un rythme et une vitesse de lecture. La frontière entre le lisible et le visible est floue, le texte est autant lisible que visible.

Ces types de génériques permettent de les situer les uns en fonction des autres, dans un genre ou une époque. Mais comme la façon de regarder des séries, et donc leurs génériques, a évolué, ces formes semblent se détacher de plus en plus des codes qui se sont institués avec la télévision. Le choix d’un générique long et en gros plan ou court et essentiellement typographique se fait aujourd’hui différemment. Le temps d’antenne n’est plus en jeu et il n’y a plus besoin de prouver que les séries sont des programmes de « qualité » comparables aux productions cinématographiques.

Entretiens

Pour comprendre le travail de title designer et comment ils s’adaptent aux contraintes de réception des séries à la télévision ou sur les plateformes de SVOD, j’ai interrogé par mail trois d’entre eux : Saskia Marka de Berlin, Olivier Marquézy de Paris et Teddy Blanks de New York. Si les réponses de Saskia Marka et d’Olivier Marquézy permettent de comprendre la production de génériques en Europe, excepté peut-être pour le Royaume-Uni, je pense que Teddy Blanks donne un aperçu d’une certaine façon de réaliser des génériques, et non pas de toute la production de génériques aux États-Unis. Son travail est très différent des génériques d’ambiance réalisés par des studios hollywoodiens spécialisés qui ont plus de moyens et de compétences.

J’ai traduit de l’anglais les interviews de Saskia Marka et de Teddy Blanks.

Avec Saskia Marka

Saskia Marka est une title designer allemande, elle a travaillé pour le cinéma et la télévision allemande pour laquelle elle a réalisé les génériques des séries Deutschland 83, 86 et 89 (Anna Winger et Jörg Winger, RTL, 2015 – 2020) et Babylon Berlin (Tom Tykwer, Achim von Borries et Hendrik Handlœgten, Sky Deutschland, 2017 –). Son travail en Allemagne a été remarqué51, Netflix l’a alors contactée pour réaliser les génériques d’ouverture et celui de fin de la série américaine The Queen’s Gambit.

Deutschland 89, Anna Winger et Jörg Winger, RTL, 2015 – 2020, 00:35, générique de Saskia Marka, musique de Peter Schilling, Major Tom (Völlig Losgelöst). Saskia Marka a réalisé le générique des trois saisons de Deutschland 83, 86 et 89. Cette série suit un espion de la Stasi chargé d’infiltrer l’armée ouest-allemande en RFA. La première saison avait déjà un générique en Allemagne, mais la showrunner Anna Wagner avait repéré son travail et a proposé qu’elle réalise une nouvelle séquence pour la diffusion à l’international.

Quel type de relation as-tu avec les showrunners et les producteurs ?

Avec les producteurs, nous parlons plutôt des questions de budget et de production. Avec les showrunners, j’aborde la partie créative.

Y-a-t-il une différence entre travailler pour une plateforme de SVOD et une chaîne de télévision ?

Je pense que les plateformes de SVOD sont plus ouvertes sur l’aspect créatif. À la télévision allemande, tu dois garder en tête le public visé qui est souvent âgé. Tu dois donc être plus claire dans la manière dont tu communiques. Légalement, la typographie doit aussi être plus visible.

Penses-tu que le métier de title designer est suffisament reconnu ?

C’est le cas aux États-Unis, mais pas en Allemagne. Je pense qu’en Allemagne sa reconnaissance augmente grâce à l’influence des génériques de cinéma. Et aussi parce que de plus en plus de séries sont produites. Mais l’audience allemande ne s’y intéresse pas. Je ne peux pas me prononcer pour le reste de l’Europe.

Que penses-tu du bouton « passer l’introduction » sur les plateformes de SVOD ?

Bien sûr que cela me dérange. Mais d’un autre côté, le générique est une sorte de visage de la série, et si tu l’as vu une fois, tu as compris l’idée. Je pense que c’est compréhensible de passer le générique d’une série qui a beaucoup d’épisodes comme The Big Bang Theory (Chuck Lorre et Bill Prady, CBS, 2007 – 2019), mais pas forcément sur une série de six épisodes.

Je remarque que les génériques qui évoluent d’un épisode à l’autre sont de plus en plus fréquents. Que penses-tu de cette forme de générique ?

Je propose de changer le générique à chaque épisode depuis des années ! (smiley clin d’œil) Mais ça n’a jamais été accepté (pour moi), le budget ne le permettait pas. Si tu as seulement un carton-titre comme la série Better Call Saul (Vince Gilligan et Peter Gould, AMC, 2015 –) avec un changement de fond, c’est possible, mais pas pour une séquence de trente secondes ou plus. C’est beaucoup de travail pour le title designer, mais aussi pour la post-production. Mais oui, j’espère que ça va devenir plus fréquent.

Peux-tu m’expliquer ton travail pour Deutschland 83, 86 et 89 ? Était-ce une demande que des images de la série soient présentes au générique ?

La musique était choisie et Anna Wagner voulait une carte pour expliquer la division RDA/RFA au début de la série. De plus, pour les trois saisons, il devait y avoir des scènes de la série, ainsi que tous les acteurs avec leurs noms au même moment (entre nous, je ne pouvais pas les en dissuader). Tout le reste, l’effet de papiers découpés, l’animation... sont de moi. En dehors de ces contraintes, j’avais une totale liberté de création, ce qui était agréable.

The Queen’s Gambit (générique de fin) Scott Franck et Allan Scott, Netflix, 2020, générique de Saskia Marka, 03:00, musique de Carlos Rafael Rivera. Les animations ont été réalisées par Dave Whyte, physicien devenu motion designer irlandais qui expérimente la création de formes avec le langage de programmation Processing qu’il poste sur Twitter. Saskia Marka a proposé d’utiliser ces animations réalisées par ordinateur. Elle a ensuite retravaillé les textures pour être plus proche de l’époque de la série.

Pourquoi ce choix d’une telle séquence de fin pour The Queen’s Gambit, et de génériques d’ouverture très sobres ? As-tu été surprise par cette demande ?

[Cette structure] a toujours été prévue de cette façon. En fait, je suis surprise que tout le monde soit aussi surpris par la structure du générique de fin. Ce n’est pas la première fois, ou peut-être que si ?

As-tu travaillé sur la séquence de fin en premier ou sur les deux en parallèle ? Quelles étaient tes inspirations ?

J’ai travaillé sur les deux en même temps. Le générique d’ouverture est simplement typographique, j’ai donc pu me concentrer sur le générique de fin. J’ai trouvé le contraste entre les échecs analytiques et la sensibilité du personnage principal très inspirant. De plus, les échecs sont bien sûr un jeu très graphique. J’étais donc heureuse de pouvoir travailler sur les animations géométriques de Dave Whyte, et de les transformer en une expérience émotionnelle différente, « hors de contrôle ».

Avec Olivier Marquézy

Olivier Marquézy est un graphiste et title designer français. En 2014, il a co-fondé La Brigade du Titre avec Mathieu Decarli. Il a travaillé pour le cinéma, la télévision et plus récemment pour Netflix. Ses réalisations de génériques de séries concernent une web-série qu’il a co-réalisée : Doxa (Alexandre Pierrin, Studio 4, 2018) et deux séries produites par Canal+ : Vernon Subutex (Cathy Verney, Canal+, 2019 –) et Le Bureau des Légendes (Éric Rochant, Canal+, 2015 – 2020).

Peux-tu présenter La Brigade du Titre, quels sont vos rôles à Mathieu et à toi ?

La Brigade du Titre est le nom du duo que nous formons avec Mathieu, c’est juste un nom professionnel, nous sommes deux irréductibles indépendants, mais on aime mieux ne pas être seuls et travailler ensemble ! On n’a pas vraiment de rôle défini, on a chacun nos qualités et nos défauts, complémentaires donc ça va. Les choses s’organisent de manière assez naturelle et organique, tant sur la répartition des projets en eux-même (quand on ne les fait pas à deux) que sur la répartition des tâches quand on est sur un même projet.

Comment en êtes-vous venus à réaliser des génériques ?

On fait des génériques depuis toujours ! Le premier que j’ai fait doit dater de 1997, à peine sorti de l’école, un générique pour le court métrage d’une amie. J’ai toujours aimé ce sujet, vecteur parfait pour mélanger les techniques, la typo, le rythme, le montage…

Pour la réalisation d’un générique, par qui êtes-vous contacté ?

Principalement ce sont les directeur.trice.s de post-production qui nous contactent, les monteur.teuse.s, ou bien les réalisateur.trice.s quand on se connaît déjà. Plus rarement les producteur.trice.s directement, à part quelques exceptions.

Avant de réaliser un générique, voyez-vous les films ou les séries ?

Cela dépend du moment où l’on arrive sur le projet, mais oui bien sûr on voit le film en cours de montage, souvent une première version, ou quelques épisodes de la série. Rarement, mais ça arrive, on est contacté très en amont et on lit le scénario, avant le tournage, ce qui peut être pratique pour certaines demandes particulières (tournages de plans spéciaux avec les acteur.trice.s, décors…).

Doxa, Alexandre Pierrin, Studio 4, 2018, générique de La Brigade du Titre, épisode 1, 00:03, musique de Grégory Corsaro. Doxa est une web-série qui raconte les aventures d’un employé d’un institut de sondage qui va comettre une erreur. Le titre est introduit dans les décors, un mouvement de zoom et la musique indiquent au spectateur qu’il s’agit du générique.

Tu as co-réalisé la web-série Doxa, son générique s’inscrit dans le décor. Pourquoi ce choix, comment avez-vous pensé ces séquences d’ouverture ?

Ce choix est arrivé très vite, notamment parce que je n’avais pas envie de m’en occuper en fin de post-production ! On a donc imaginé avec Alexandre Pierrin d’intégrer le titre dans les éléments de jeu. Il fallait donc bien penser ces scènes car on n’avait le droit à l’erreur… Et puis, dans le fond, c’était aussi pour faire entendre que la doxa est partout et concerne beaucoup de choses…

Le Bureau des Légendes, Éric Rochant, Canal+, 2015 – 2020, générique de La Brigade du Titre, saisons 1 à 5, 00:10, musique de Rob. Le Bureau des légendes est une série d’espionnage dont le générique-titre a été conservé durant cinq saisons. Il s’agit d’un carton indiquant que les ressemblances avec la réalité sont fortuites, puis un second avec le logo de la série. Il fait référence aux broyeurs à papier permettant de détruire des documents secrets, comme il est expliqué à une nouvelle agente dans le premier épisode.

Peux-tu m’expliquer la genèse du générique du Bureau des Légendes ? Quelles étaient la demande et les contraintes ?

Ce fut une aventure assez compliquée et déceptive malheureusement. Après une sélection sur dossier, nous avions été retenus pour réaliser un générique long (quarante-cinq secondes au moins) qui était prévu au départ par Éric Rochant et la production. Après plusieurs maquettes, ils ont changé leur fusil d’épaule et on voulu travailler sur un logo animé seulement, très court. En parallèle, l’agence de communication de Canal+, responsable de l’affichage et de la campagne autour de la série, impose un logo à la production, qui à son tour nous l’impose comme base de travail. Nous avons retravaillé ce logo en profondeur et animé ensuite. Beaucoup d’énergie dépensée pour un résultat dont on ne sait plus trop bien à qui il est dû… mais l’ensemble marche, donc tant mieux.

Vernon Subutex, Cathy Verney, Canal+, 2019 – , générique de La Brigade du Titre, saison 1 épisode 1, 00:12, musique de Sylvain Ohrel. Vernon Subutex, adaptation du roman de Virginie Despentes, raconte la vie de sans abris d’un ancien disquaire parisien. Chaque épisode à un générique différent, des photographies portant le titre de la série se succèdent puis une image récurrente d’un vinyle qui fond finie la séquence.

Quelle était l’idée du générique de Vernon Subutex ? Est-ce vos photographies ?

Idée très simple : « Vernon was there ». Un sticker, un pochoir, un maximum de lieux parisiens en lien avec l’histoire et la trajectoire du héros, un truc urbain et un peu punk, abimé, crado et qui donne envie de chercher partout autour de soi si ces traces ne seraient pas autour de nous. Et oui, nous avons pris toutes les images. Heureusement la production nous a appelé su∞samment tôt, et l’idée a été validée tôt aussi, ce qui nous a permis de profiter de tout le temps du tournage et de la post-production pour photographier à différentes saisons [météorologiques].

Est-ce vous qui avez proposé un générique différent pour chaque épisode ou cela vous a-t-il été demandé ?

Devant cette masse d’images que nous avions produite, nous avons proposé nous-même de faire neuf montages différents, ça nous semblait évident vu le processus de fabrication, ça aurait été dommage de passer à côté de ce petit plaisir que sûrement seuls quelques acharnés auront remarqué.

Vous avez collaboré avec des chaînes de télévision et avec Netflix (documentaires), y a-t-il une différence à travailler pour la télé et une plateforme de SVOD ?

Netflix amène des contraintes de validation en amont et au cours de la post-production qui sont très contraignantes et tout à fait nouvelles dans la production française. Pas forcément pour le mieux parfois.

Que penses-tu de « passer l’introduction » sur les plateformes de SVOD ?

À ton avis… ??

Certains génériques de séries t’ont-il marqué dernièrement ?

Je regarde trop peu de séries pour être vraiment honnête là-dessus… Mais en travaillant sur Doxa, j’en ai regardé quelques uns, Broad City (Ilana Glazer et Abbi Jacobson, Comedy Central, 2014 – 2019) notamment, conseillé par notre monteuse, dont le logo animé et décliné de manière drôle et colorée m’a beaucoup plu.

Avec Teddy Blanks

Teddy Blanks est un graphiste américain, il a co-fondé le studio New Yorkais CHIPS avec Dan Shields et Adam Squires. Il a réalisé des génériques pour le cinéma indépendant, pour la télévision et des plateformes de SVOD. Il a notamment réalisé les séquences d’ouverture des mini-séries Everythings Sucks! (Ben York Jones et Michael Mohan, Netflix, 2018) et The Act (Nick Antosca et Michelle Dean, Hulu, 2019 –) et de la saison 2 et 4 de la série Mozart in the Jungle (Roman Coppola, Jason Schwartzman et Alex Timbers, Amazon Video, 2014 – 2018). Son travail est intéressant car, comme il le dit lui-même, sa façon de réaliser des génériques semble s’accorder avec les modes de visionnage actuels.

Mozart in the Jungle, Roman Coppola, Jason Schwartzman et Alex Timbers, Amazon Video, 2014 – 2018, générique de CHIPS, saison 4 épisodes 1, 2, 3, 6, 8 et 10, 00:16, musique de Roger Neill, Liztomania. Mozart in the Jungle, dont le scénario est inspiré des mémoires de Blair Tindall, met en scène une hautboïste et un chef d’orchestre au sein de l’orchestre philharmonique de New York. Teddy Blanks a créé une séquence pour chaque épisode de la saison 2 en s’appuyant sur la musique, une réinterprétation du titre Liztomania du groupe Phœnix. Il s’est inspiré de pochettes d’albums de musique classique des années 1950 et 1960, plus particulièrement celles d’Alex Steinweiss, pour constituer une série de formes qui représentent chacune un instrument. Pour la saison 4, il a réutilisé ces formes mais, s’est inspiré des visualisations du son pour créer de nouvelles animations.

Y-a-t-il une différence entre travailler pour une plateforme de SVOD et une chaîne de télévision ?

J’ai réalisé des génériques de séries pour HBO, Cinemax, Showtime et FX (chaînes de télévision) comme pour Netflix, Amazon et Hulu (plateformes de SVOD). Je ne vois pas de différence perceptible dans le processus de travail. Certaines d’entre-elles ont des producteurs qui s’impliquent plus que d’autres dans la création du générique, mais il ne s’agit pas d’une situation où les chaînes de télévision seraient en concurrence avec les plateformes de SVOD.

J’imagine que travailler sur une série pour un network comme ABC impliquerait beaucoup plus de contraintes de la part de la chaîne, mais je n’ai travaillé qu’avec des chaînes câblées « de qualité », donc c’est entièrement de la spéculation.

Lors d’un projet de générique de série, quel type de relation as-tu avec les showrunners et les producteurs ?

Mes échanges avec les showrunners et les producteurs se passent ainsi : quelqu’un qui travaille sur l’émission — soit le superviseur de la post-production, soit l’un des producteurs — m’envoie un brief qui décrit ce qu’ils veulent communiquer avec le générique. J’ai alors un appel téléphonique avec le showrunner ou les producteurs, et nous discutons plus en détail de ce qu’ils veulent. Parfois, ils ont une idée précise de ce qu’ils veulent faire. Parfois, ils ne savent pas ce qu’ils veulent et cherchent des idées. Ensuite, je leur envoie un pitch — une première série d’idées. Puis, des révisions et des ajustements sont apportés pour consolider le concept lorsqu’une idée est choisie. Enfin, vient la réalisation du générique lui-même. Tout au long de ce processus, j’ai des discussions, des retours et des directions à suivre des producteurs et des showrunners, et à chaque étape, je me rapproche de la version finale.

Que penses-tu de « passer l’introduction » sur les plateformes de SVOD ? Pour toi, quelle en est la conséquence sur la création des génériques ?

Je comprends tout à fait le raisonnement derrière cela et pourquoi beaucoup de gens l’utilisent. Je l’ai moi-même utilisé. Si tu regardes plusieurs épisodes d’affilé, il peut être ennuyeux de voir la même introduction de manière répétitive, surtout si tu n’aimes pas la chanson ou l’esthétique. Si tu penses devenir title designer, tu dois prendre en compte le fait que 99% des gens ne remarquent pas du tout ton travail ou l’évitent activement. Il est inutile de lutter contre cela.

D’un autre côté, je pense que moins il y a de choses extérieures à l’épisode qui apparaissent à l’écran, mieux c’est. C’est mon problème avec le bouton « passer l’introduction ». Pourquoi mettre ça si on nous offre déjà la possibilité de parcourir la vidéo ou de faire une avance rapide ?

Je sais que Netflix encourage spécifiquement ses showrunners à éviter les longues séquences d’ouverture au profit de cartons accrocheurs au début des épisodes, ce qui, je pense, a été bon pour moi. L’essentiel de mon travail va dans ce sens. Il existe de nombreux studios plus importants et plus établis qui sont spécialistes des grosses productions de génériques. Le bouton « passer l’introduction » m’a donc permis de travailler sur des projets plus importants.

The Act 1

The Act 2

The Act 3

The Act, Nick Antosca et Michelle Dean, Hulu, 2019 –, générique de CHIPS, saison 1 épisodes 2, 3 et 8, 00:05. The Act est une série d’anthologie dont chaque saison s’inspire d’une histoire de crime réel. La première saison relate l’assassinat d’une mère par sa fille. Celle-ci était persuadée par sa mère d’être malade et donc de devoir prendre des médicaments et de se déplacer en fauteuil roulant. Les générique-titres réalisés par Teddy Blanks s’inscrivent dans le décor. Ils se mêlent aux éléments du décor et sont en partie cachés, faisant référence aux mensonges entre la mère et sa fille.

Beaucoup de tes génériques changent et évoluent d’un épisode à l’autre. Est-ce toi qui proposes cela, ou est-ce une demande ? Qu’est-ce que cela apporte à la série ?

Parfois, je le propose. Parfois, cela est demandé dans le brief initial. C’est différent d’une série à l’autre. J’aime cela parce qu’ainsi, je peux traiter chaque épisode comme un petit film avec son propre générique, et je pense que cela permet une expérience de visionnage moins répétitive et plus surprenante.

Comment choisis-tu une police de caractères pour une série ? Qu’est-ce qui guide tes choix ?

Tout d’abord, je lis les scripts ou je regarde des extraits des épisodes et je note l’esthétique générale de la série, son ton, son ambiance et ses thèmes principaux — tout ce qui peut m’aider à trouver des idées. Ensuite, je recherche des références visuelles. J’essaie de rassembler le plus grand nombre possible de références provenant de sources disparates : pour la typographie, la palette de couleurs et pour la composition. Ensuite, je propose plusieurs types d’idées aux showrunners, et ils en choisissent une ou me font un retour pour me diriger dans une nouvelle direction.

Dans beaucoup de tes projets, tes génériques semblent faits à la main ou prennent place dans le décor. Qu’est-ce qui te plaît dans ces procédés ?

Ce n’est pas parce que les créateurs utilisent tous des logiciels que leur travail doit sembler avoir été créé ainsi. Les génériques de films avec une esthétique « artisanale » peuvent donner une chaleur humaine à la séquence et signaler aux spectateurs que les cinéastes ont pris un grand soin à créer l’expérience de visionnage.

Little America

*Peux-tu me parler du générique de Little America ? Quelle était l’idée qui a guidé ton travail ?**

Little America est une série d’anthologie sur l’immigration aux États-Unis. L’idée derrière le générique était de prendre des images stéréotypées « américaines » — typographie vernaculaire sur des panneaux kitchs peints à la main d’autoroutes, de stations-service, de restaurants du paysage américain — et de les juxtaposer à une chanson du pays d’origine des immigrants au cœur de l’histoire de chaque épisode.

Comment as-tu constitué la sélection de photographies et de lettrages ?

La majorité des photos provient des archives John Margolies Roadside America Photograph Archive52 — une collection impressionnante, appartenant au domaine public, de photographies de panneaux peints en bordure de route des années 1960 au début des années 1990 (j’ai également quelques autres sources, dont une série de photos commandées dans les années 1970 par l’Environmental Protection Agency (EPA)53, également du domaine public). J’ai détaché le texte qui se trouvait déjà sur les panneaux et l’ai réorganisé ou remplacé par les mentions et le titre de la série. Pour la plupart, les lettrages sont littéralement recomposés à partir des dessins originaux peints à la main.

Les réponses à la question sur la différence à travailler pour la télévision et les plateformes de SVOD témoignent de l’influence des productions américaines sur les productions européennes. Pour Teddy Blanks, il n’y a aujourd’hui pas de différences notables, cependant Saskia Marka et Olivier Marquézy doivent répondre à de nouvelles manières de faire qui d’après Saskia Marka laissent plus de place à des propositions créativement plus ambitieuses. Même s’il semble que ce sont les showrunners qui ont le plus d’influence sur la création d’un générique, en tout cas artistiquement, et que cela dépend d’eux en partie. Les méthodes de travail américaines pour réaliser des séries, et donc leurs génériques, tendent à s’étendre en Europe.

La liberté de création donnée aux showrunners et aux title designers par les plateformes de SVOD ont donné une nouvelle dimension aux séquences d’ouverture. Notamment avec la mise en place du bouton « passer l’introduction », dont Saskia Marka et Teddy Blanks comprennent la démarche et sont, de toute façon, contraints de l’accepter. Il a fait émerger les génériques évolutifs qui, en plus d’être intéressants à réaliser comme le souligne Olivier Marquézy, détournent cette contrainte. Il est vrai que cela demande plus de travail et de budget, mais les plateformes de SVOD semblent se tourner de plus en plus vers cette forme d’ouverture, le générique de Little America exploite ceci dans une séquence de plus d’une minute. Les génériques sont aujourd’hui plus mouvants d’une saison ou d’un épisode à l’autre, exploitant la répétition et la variation propres aux séries.

Génériques évolutifs

Les contraintes de temps et de contenu liées à la création d’un générique, imposées par la diffusion télévisuelle, et celles liées à l’évolution des modes de visionnage des séries ont libéré la manière d’envisager les séquences d’ouverture. Elles profitent de l’espace démultiplié que leur offre la structure répétitive caractéristique aux séries, et s’éloignent alors de leur modèle cinématographique. Si un film n’est qu’un seul et unique objet, une série est un ensemble de saisons et d’épisodes fonctionnant, dans la majorité des cas, dans un ordre précis. Les génériques de séries évoluent et changent d’une saison ou d’un épisode à l’autre. Ils remédient ainsi à ce qui peut sembler redondant et créent de nouveaux espaces narratifs à investir.

Dans les années 1960, le générique de Mission: Impossible (Bruce Geller, CBS, 1966 – 1973) était envisagé comme un teaser de ce qui allait se passer dans l’épisode. En effet, chaque épisode a son propre générique qui montre des images de l’action à venir. La musique de Lalo Schifrin, le titre et quelques plans-portraits restent les mêmes, mais les images d’action donnent un aperçu aux spectateurs du récit puisque chaque intrigue se résout à la fin.

Mission: Impossible, Bruce Geller, CBS, 1966 – 1973, saison 4 épisode ?, 00:50, musique de Lalo Schifrin

Cette forme de générique peut être qualifiée d’évolutive54, puisque le générique s’adapte à chaque épisode ou saison. Ainsi, les spectateurs sont surpris au début d’un nouvel épisode ou d’une nouvelle saison et cela permet de signaler que la série évolue. Les changements peuvent concerner une partie ou l’ensemble du générique. Ils peuvent être subtils ou évidents, mais ils donnent toujours des informations nouvelles aux spectateurs. Celles-ci ont deux fonctions possibles, dévoiler un élément futur pour attiser la curiosité des spectateurs ou marquer une transition, un nouveau chapitre dans le récit.

Les variations peuvent être liées aux choix musicaux, aux plans et aux images, ainsi qu’à la structure d’ouverture des épisodes. Cependant, certains éléments persistent et entretiennent un lien. La répétition a aussi la vertu de fidéliser les spectateurs et leur permettre de s’attacher à cette série. Ce modèle doit trouver un équilibre entre redondance et changement complet. Cela passe majoritairement par la typographie ou plus précisément la police de caractère du titre de la série, sous forme de logo. Mais aussi par la musique ou la bande-son qui sera rapidement mémorisée par les spectateurs. Enfin, l’identité peut être renforcée par les éléments visuels qu’ils soient des plans de la série ou des images réalisées spécifiquement pour la séquence d’ouverture.

Filiation typographique et tumulte au Vatican

En 2016, le générique de la série comique Atlanta (Donald Glover, FX, 2016 –) n’a de récurrent que le logo de la série. Dans le premier épisode, on peut clairement l’identifier par son placement en surimpression. Et ainsi le retrouver dans les épisodes suivants, parfois caché dans le décor. Certains génériques de la deuxième saison sont très difficiles à repérer au premier visionnage, car le spectateur est concentré sur l’action de la scène.

Atlanta, Donald Glover, FX, 2016 – , saison 1 épisodes 1 à 9, 00:05

La police de caractères utilisée est la Cabernet dessinée par Kim Cazzolla à partir du Caslon d’Ed Benguiat, dont le contraste entre les pleins et les déliés est très fort et les empattements sont triangulaires. On peut retrouver la Caslon utilisée sur l’affiche et dans le générique du film Jackie Brown (Quentin Tarantino, 1997) et auparavant déjà pour le film Foxy Brown (Jack Hill, 1974), qui tous deux ont comme actrice principale Pam Grier. Elle est une figure majeure du genre cinématographique américain des années 1970 appelé blaxploitation, qui a revalorisé les afro-américains au cinéma.

Jacky Brown

Jackie Brown, Quentin Tarantino, 1997, générique de Pacific Title and Art Studio, 03:00, musique de Bobby Womack, Across 110th Street

Foxy Brown

Foxy Brown, Jack Hill, 1974

Dans la série Atlanta, on suit Earn et son cousin Alfred qui tentent de se faire une place dans le monde du rap. Donald Glover, le showrunner, cherche dans sa série, mais également dans d’autres parties de son travail, comment trouver sa place d’afro-américain aux États-Unis aujourd’hui. Il s’inscrit dans la volonté de la blaxploitation de produire des fictions écrites, réalisées et jouées par des afro-américains.

Le premier épisode d’Atlanta est un épisode pilote, diffusé comme tel, cela peut expliquer sa différence. Un pilote peut être diffusé avec un générique non-définitif. Toutefois, il nous éclaire sur ce qui fait le générique, compte tenu de ce seul élément récurent, puisque la musique est différente à chaque épisode. La typographie assure le lien entre les épisodes et les saisons, mais crée aussi une filiation avec un genre cinématographique.

Le générique de la série The Young Pope (Paolo Sorrentino, HBO/Sky/Canal+, 2016) est un autre générique évolutif dans la structure d’ouverture des épisodes. Dans Atlanta, les plans et la musique du générique changent, c’est aussi le cas pour cet exemple. Mais la narration et l’ordre des séquences d’ouverture changent également. La première saison intitulée The Young Pope raconte l’élection de Lenny Belardo comme nouveau Pape, hissé à 47 ans à la tête de l’Église catholique par un cardinal qui pense pouvoir le manipuler. Il se révélera finalement peu enclin à ce qu’on lui impose une conduite à suivre. La deuxième saison The New Pope (Paolo Sorrentino, HBO/Sky/Canal+, 2020), raconte l’arrivée d’un autre pape Jean-Paul III suite au coma du premier après une attaque cardiaque. L’intrigue principale qui guide le choix des séquences d’ouverture est simple, mais la mise en scène est extrêmement travaillée et l’image soignée comme une composition picturale.

The Young Pope, Paolo Sorrentino, HBO/Sky/Canal+, 2016, épisodes 3 à 8, générique d’Elastic, 01:20, musique de Devlin, (All Along the) Watchtower
The New Pope, Paolo Sorrentino, HBO/Sky/Canal+, 2020, épisodes 7 à 9, générique de Frederica Forcesi et kmstudio, 01:20, musique de Devlin, (All Along the) Watchtower
The New Pope, Paolo Sorrentino, HBO/Sky/Canal+, 2020, épisodes 2 à 6, générique de Frederica Forcesi et kmstudio, 01:20, musique de Sofi Tukker, Good Time Girl

Déplions le poster qui entoure la couverture pour nous aider à comprendre l’évolution des séquences d’ouverture et de fin des deux saisons. Les choix du placement des séquences d’ouverture sont faits en fonction du scénario et des événements qui surviennent dans le récit. Dans The Young Pope, la séquence qui s’apparente habituellement au générique apparaît au troisième épisode, lorsque le pape a choisi son nom Pie XIII. Cette séquence est un générique-seuil : un travelling suit le pape et révèle ainsi différents tableaux jusqu’à une statue de l’ancien pape Jean-Paul II projetée à terre par une météorite, citation évidente de l’installation d’art contemporain La Nona Ora de Maurizio Cattelan.

Le réalisateur Paolo Sorrentino a choisi des peintures qui représentent, pour lui, des moments importants de l’histoire du christianisme55. Le premier tableau est L’Adoration des bergers de Gerrit van Honthorst qui représente la naissance du Christ. Puis La Remise des clefs à Saint-Pierre du Pégurin, La Conversion de Saint-Paul sur le chemin de Damas du Caravage... Pour lui, le christianisme commence avec une étoile filante qui mystérieusement, au fil des siècles, se transforme en météorite. Reprendre l’œuvre de Maurizio Cattelan permet de donner une fin poignante au générique qui symbolise la fin d’un règne et l’arrivée d’un nouveau pape et avec lui, une nouvelle vision de la religion catholique et de cette fonction.

Dans la saison 2 The New Pope, Pie XIII, tombé dans le coma plus tôt, se réveille à la fin de l’épisode 6. Une déclinaison de la séquence de la première saison apparaît dans les trois derniers épisodes (7 à 9). Son retour dans les décisions du Vatican est annoncé par le générique qui fait écho à celui de son arrivée dans la première saison. Cette séquence du pape en maillot de bain à la plage pousse à son paroxysme l’absurde exploré tout au long de la série.

Les génériques de The Young Pope ont été réalisés par le studio hollywoodien Elastic. Ceux (ouverture et fin) de The New Pope ont été dirigés par Frederica Forcesi, puis le travail de composition typographique et de motion design du logo et des mentions a été réalisé par le studio italien kmstudio. J’ai pu interroger par mail le directeur artistique Francesco Kurhajec.

Ils ont été contactés par Wildside une société de production italienne travaillant sur la série, ils ont ensuite travaillé en collaboration avec Frederica Forcesi. Leur travail a été de concevoir et d’animer tous les textes des génériques, ils ont travaillé ensemble sur la vitesse d’affichage, la lisibilité, les couleurs et les effets de « néon » des mentions.

La deuxième saison prend effectivement plus de libertés dans le positionnement des mentions, leur apparition dans des scènes de l’épisode. Les scènes d’ouverture s’éloignent des formes de génériques plus classiques.

La musique employée pour les deux séquences est un titre de Devlin nommé (All Along the) Watchtower. La bande-son électro-pop-rock est très présente dans les séquences d’ouvertures et annonce l’irrévérence de la série, contrastant avec l’univers religieux du Vatican. Dans les séquences d’ouverture des six premiers épisodes de la saison 2, lorsque Pie XIII est dans le coma, les bonnes sœurs dansent sensuellement sur le titre électro Good Time Girl de Sofi Tukker.

L’élément qui est présent à chaque épisode, soit de la saison 1 soit de la saison 2, est le titre. Seul ou à la fin d’un générique, il reste identique, en bleu pour The Young Pope et en rouge/orange pour The New Pope. Le lettrage du titre est un dessin du studio Elastic pour la première saison, puis reprit par kmstudio pour la seconde saison. La police de caractère utilisée pour les mentions est une police libre Phosphorus dessinée par Apostrophe (Fredrick Nader). Les caractères font référence aux caractères romains gravés sur la Basilique Saint-Pierre et les Musées du Vatican, à l’exception du U différent d’un V. De plus, une croix pattée, symbole chrétien, complète le O de Pope.

Paolo Sorrentino exploite la structure sérielle pour renouveler la manière dont le spectateur aborde chaque épisode, sans jamais le perdre. Il utilise les séquences d’ouverture pour structurer le récit. C’est un réalisateur qui vient du cinéma et réalise ici sa première série comparable à ses réalisations cinématographiques par sa qualité, ses acteurs, sa bande-originale. Mais il respecte le format épisodique de la série et n’essaie pas de faire un long film où les séquences marginales sont minimisées pour laisser place à l’épisode. Sans garder le même générique à chaque fois, il joue sur le montage et la répétition en miroir de certaines scènes qui ouvrent et ferment des moments du récit.

Sons extraterrestres et chanson pop

La musique est une composante importante d’un générique de série, elle peut à elle seule constituer l’identité d’un programme. La musique de la série britannique Doctor Who (Sydney Newman et Donald Wilson, BBC, 1963 + Russell T Davies, BBC, 2005-) a été imaginée dans les studios de la BBC dans les années 1960 et fonde l’identité de la série. Elle a bien sûr évolué depuis, mais reste très similaire et fidèle a ce qui a été choisi à l’origine. Doctor Who se divise en deux séries, la première de 1963 à 1989 et la seconde de 2005 à aujourd’hui, soit 38 saisons. La typographie a été renouvelée de nombreuses fois, les images aussi répondant pourtant à des codes stricts.

En 1963, le premier générique a été confié à Bernard Lodge, graphiste pour la BBC. À cette époque, quelques séries de science-fiction avaient déjà sensibilisé un public à ce type de programmes. Cependant, Doctor Who rompt avec l’habitude du genre qui présente l’univers dans lequel le spectateur va entrer par une voix-off, comme dans The Twilight Zone (Rod Serling, CBS, 1959 – 1964) lorsque le narrateur prévient « Apprêtez-vous à entrer dans une nouvelle dimension, qui ne se conçoit pas seulement en termes d’espace, mais où les portes entrebâillées du temps peuvent se refermer sur vous à tout jamais… La quatrième dimension !56 »

Verity Lambert, à qui est confiée la production de la série, va mettre en relation Bernard Lodge avec le chef opérateur du département des effets visuels Norman Taylor qui expérimente un procédé visuel de feed-back qui a été nommé howlround effect57 : « Basé sur le principe du retour vidéo, le dispositif en question relie le flux vidéo, filmé par une caméra, à un moniteur qui diffuse l’image filmée par la caméra en question. Une boucle de rétroaction s’effectue, [...] l’image se génère elle-même au sein d’une boucle infinie. Dès qu’une source lumineuse, comme celle émise par une torche électrique, vient frapper le moniteur, la lumière perturbe le signal vidéo et provoque des distorsions de l’image.58 » Cela sera utilisé pour les génériques des trois premières saisons.

Sydney Newman et Donald Wilson, BBC, 1963 + Russell T Davies, BBC, 2005-, musique de Ron Grainer

Pour la bande-son, Verity Lambert contacte Ron Grainer qui travailla en collaboration avec le BBC Radiophonic Workshop, le département d’innovation sonore de la chaîne dédié à la recherche de musiques d’ambiance pour la radio et la télévision, une structure pionnière de la musique électronique. Verity Lambert souhaitait des sons inouïs semblant venir d’une autre dimension, évoquant des formes extraterrestres. Les techniciens ont alors exploré les machines à leur disposition et ont déformé le morceau composé par Ron Grainer pour créer des sons étranges, totalement nouveaux pour la télévision.

Ce qui résulte de ces expérimentations visuelles et sonores est une séquence hypnotique, attirant le spectateur, suscitant sa curiosité et le plongeant immédiatement dans un voyage vers un univers inconnu. La bande-son sera réinterprétée au fil des saisons, mais un son ressemblant à un chant du mot who est récurrent dans chaque générique. Le rythme du morceau et cette signature sonore deviennent même les véritables marqueurs de la séquence d’ouverture.

Certains génériques suivants intégreront le visage du docteur. En 1966, l’acteur principal a été remplacé. Le principe de la série est que le docteur peut changer d’apparence et être incarné par un nouvel acteur à chaque fois. En ce qui concerne les images, toutes les séquences sont un travelling avant à travers l’espace, le feu ou des tunnels spatio-temporels. Le rythme de la séquence s’accélère sensiblement au fil des saisons.

Autant les effets visuels du premier générique semblent aujourd’hui datés, autant la musique est restée, novatrice pour son époque, intemporelle, incarnant à elle seule quarante ans d’une série. La musique est ce qui va induire toutes les formes que prendront les séquences d’ouverture au fil du temps et permettra aux saisons de se différencier tout en conservant un élément identifiable pour les fans de la série.

Dans un autre genre, le titre I’ll Be fine de Clairy Browne & The Bangin’ Rackettes choisi pour le générique de la série comique Please Like Me (Josh Thomas, ABC2, 2013 – 2017) est l’élément majeur de cette séquence d’ouverture. Le générique est une scène muette de l’épisode dont le montage est plus rapide. La musique indique que la scène appartient au générique et non plus totalement à l’épisode. Dans ces scènes, les personnages dansent sur la musique, et chantent parfois. Dans la majorité des séquences, ils cuisinent ou partagent un repas. Dans le générique de l’épisode 7 de la saison 2, un personnage y chante a capella. Ces séquences sont doubles : à la fois dans le récit et à la fois en dehors, donnant l’impression aux spectateurs d’être au plus proche des personnages, impression renforcée par les quelques regards caméra. La chanson fredonnée par les personnages semble être connue par tout le monde et devient un lien fédérateur entre eux, et donc aussi en partie avec les spectateurs. Cette série raconte les aventures quotidiennes de Josh, de ses amis et de sa famille. Les spectateurs peuvent tout à fait s’y reconnaître et partagent, au fil des épisodes, cet hymne familial et amical commun. Dans l’épisode 2 de la saison 4, Josh et sa bande d’amis, contre laquelle il s’est énervé, partent camper. Dans la voiture, ils écoutent alors la chanson, qu’ils reprennent tous en cœur, pour commencer leur voyage dans une meilleure ambiance.

Please Like Me, Josh Thomas, ABC2, 2013 – 2017, 00:27, musique Clairy Browne & The Bangin’ Rackettes, I’ll Be Fine

La composition typographique semble également « danser » sur la musique, les caractères s’affichent au fur et à mesure dans le désordre et dans différents corps. Une sorte de chorégraphie se met en place entre les personnages et les caractères dans un rythme plus rapide que celui de l’épisode.

Le choix de ce titre entrainant contraste avec l’humour parfois caustique de la série et l’évocation de thèmes plus graves comme les maladies mentales ou le décès d’un proche. Elle met le spectateur dans une ambiance joyeuse et permet ainsi aux personnages d’être malheureux, tout en faisant comprendre que ce n’est que passager. Cette caractéristique, amenée par la musique, est aussi explorée dans le générique de Cheers (Glen et Les Charles et James Burrows, NBC, 1982 – 1993), dans lequel la musique attenue la méchanceté des personnages les uns envers les autres.

La bande-son d’une série, musique entêtante comme dans Please Like Me ou sons semblant venir d’un autre monde dans Doctor Who, se répète encore et encore au fil des saisons. Elle permet de prendre de la liberté avec les images, et même la composition typographique. Elle détermine le rythme des images et des plans qui prennent appui sur ses particularités pour se renouveler et évoluer d’une saison à l’autre.

Répétition des plans

Faire évoluer les images d’un générique, qu’elles soient diégétiques ou numériques, semblent le plus complexe à réaliser d’un point de vu budgétaire et de production. C’est pourtant le cas des quatre exemples précédents qui montrent que cela est envisageable, malgré le travail de post-production supplémentaire. Mais faire le choix de réutiliser les mêmes images à chaque épisode et de changer un élément moins coûteux ou demandant moins de temps d’élaboration peut aussi renouveler l’attention des spectateurs. Ainsi, certains génériques utilisent des images des épisodes pour concevoir la séquence d’ouverture comme celui de The Wire (David Simon et Ed Burns, HBO, 2002 – 2008). Le générique a été réalisé par Karen L. Thorson, une des productrices de la série. Pour la première saison, elle a conçu un montage à partir des images de l’ensemble des épisodes. Puis, elle a conservé certains plans dans les génériques des saisons suivantes comme l’image de la caméra de surveillance brisée par une pierre, qui est devenue emblématique de la série. La bande-son reprend le même titre Way Down In The Hole dans chaque séquence, mais interprétée par un artiste différent.

The Wire, David Simon et Ed Burns, HBO, 2002 – 2008, générique de Karen L. Thorson, 01:30, musique de The Blind Boys of Alabama, Way Down In The Hole

Cette série, qui se passe à Baltimore, évoque sous un angle nouveau dans chaque saison (la politique, l’école, les médias...) les relations entre la police et les trafiquants de stupéfiants, suite au meurtre d’un baron de la drogue. D’autres plans de la séquence d’ouverture montrent des images plus spécifiques au thème abordé dans chaque saison. Ils marquent la distinction entre chaque saison comme des chapitres différents, et révèlent quelques plans de la saison à venir. L’utilisation d’images récurrentes permet au spectateur de comprendre qu’il va retrouver les mêmes personnages et lieux, mais s’inscrire dans des intrigues différentes. Chaque saison a son générique qui nous montre que la série évolue.

The Wire a été diffusé à la télévision dans les années 2000, son générique était alors visionné à chaque épisode. Aujourd’hui, Damon Lindelof explique que pour le générique de la troisième saison de The Leftovers (Damon Lindelof et Tom Perrotta, HBO, 2014 – 2017), le générique a volontairement été imaginé pour que les spectateurs le visionnent à chaque épisode, mais avec un intérêt renouvelé59. Ce générique utilise les mêmes images que celui de la deuxième saison, mais dans le désordre. Une chanson différente est utilisée à chaque épisode, qui donne un indice sur la suite du récit. Les mêmes images peuvent prendre un sens différent en fonction de la bande-son.

Les génériques évolutifs, même avec tous les changements qu’ils comprennent, ont toujours une fonction d’identification et de fidélisation auprès d’une audience. Ils doivent préserver leur rôle de rituel. Ces séquences se répètent, mais accentuent leur val-eur narrative à chaque fois. Comme l’explique Ariane Hudelet, « c’est aussi l’évolution du générique, son changement de forme, qui peut maintenir et renouveler l’attention et la curiosité des spectateurs, ainsi qu’incarner l’identité de la série sur la durée.60 »

Les plateformes de SVOD, qui proposent de zapper les génériques d’ouverture et de fin, se détachent des contraintes de temps d’antenne imposés par les chaînes de télévision. Comme on l’a vu avec The Young Pope, elles permettent de concevoir des génériques plus longs qui ne doivent plus s’adapter à la structure d’un épisode diffusé à la télévision induite par les coupures publicitaires. Ce mode de diffusion ne demande plus aux génériques d’être courts et identifiables par des spectateurs non-initiés à un programme. Lorsqu’un spectateur choisit un programme, il connaît les enjeux de la série qu’il s’apprête à regarder et peut alors se laisser guider par un générique différent, plus énigmatique, et adapté à chaque épisode. La pratique du binge watching et l’avènement des plateformes de SVOD, qui incitent les spectateurs à zapper les séquences d’ouverture, ont incité les formes de génériques à se renouveler et à évoluer.

Revenons alors sur les couvertures des Clubs du livre puisque Pierre Faucheux remarque à leur propos : « L’atout majeur de nos créations, la répétitivité. La répétition multipliée provoque l’identification instantanée de la série par tout lecteur intéressé par cette série.61 » Toutes les couvertures étaient différentes, mais créaient une unité et une identité de collection par certains éléments récurrents.

La répétition du générique de série lui a valu d’être considéré comme ennuyeux et parfois inutile, mais cela peut aussi se révéler être un avantage pour accompagner le spectateur sur la durée.

Conclusion

En commençant mes recherches, je pensais m’intéresser aux formes et à la dimension graphique des génériques de séries et questionner la place du texte à l’écran. Je me suis rapidement rendu compte que le contexte dans lequel ces objets graphiques évoluent conditionne grandement la manière de les penser et de les réaliser. Les modes de visionnage actuels éprouvent la place et le rôle du générique de série. Beaucoup d’acteurs qui prennent part au processus de réalisation d’une série ont un œil dessus, des agents d’acteurs aux moteurs en post-production, alors même qu’il n’est pas, ou plus, toujours considéré comme un élément important du programme qu’il présente, mais dont il fait également partie.

Le générique de série est un objet qui me semble plein de paradoxes. Tout d’abord, la volonté des producteurs des plateformes de SVOD est d’écourter le générique, mais ce sont pourtant celles qui laissent le plus de libertés et d’opportunités d’innover aux title designers, contrairement aux chaînes de télévision dont le modèle d’ouverture est encore celui des années 2000 incluant des séquences rappel et de longs génériques à chaque épisode, s’adaptant difficilement au visionnage en replay. Service de rattrapage qui se transforme petit à petit en service de VOD à l’image du site d’Arte qui met à disposition des séries très en avance de leur diffusion à la télévision ou même jamais diffusées.

Ensuite, certaines réalisations de génériques nécessitent jusqu’à 25 personnes pour une séquence de moins de deux minutes, entièrement modélisée, éclairée, composée sur des logiciels, recréant jusqu’au plus précis des mouvements humains, zappées en une seconde par les spectateurs. C’est parfois presque un exercice de style comme le montrent les nominations aux Emmy Awards qui semblent parfois juger une séquence comme un court métrage indépendamment de son programme.

Certaines séries continuent d’être dotées d’un générique d’ambiance complexe, tandis qu’une majorité d’autres doivent se contenter d’un carton-titre. Le générique-titre évolutif est évidemment une forme consensuelle qui contente les plateformes de SVOD en terme de gain de temps et d’attention du spectateur, mais ne donne également pas aux title designers l’impression de voir leur travail perdre en importance et en présence.

Le générique de série est-il voué à disparaître ? Visionner une série sur une plateforme de SVOD est un choix induit par une recommandation de la plateforme, par celle d’un proche ou d’un critique... Le spectateur connaît alors déjà les informations (titre, showrunner, acteurs...) délivrées par un générique. Celles-ci sont facilement accessibles sur internet, et plus précisément lues avant le visionnage du premier épisode sur la page de présentation de la série sur la plateforme. Quelle est alors la nécessité de créer un générique qui rend compte des mêmes données ?

Teddy Blanks a réalisé un générique d’ambiance évolutif de plus d’une minute pour chaque épisode de Little America. Il place le récit à venir dans l’histoire de l’immigration aux États-Unis, pour ensuite raconter des histoires particulières. Le souhait des showrunners et des title designers de concevoir de longues séquences permettant une plus grande immersion des spectateurs dans l’ambiance de la série est encore là, même s’il ne s’accorde plus toujours avec celui des productions.

Les génériques d’ambiance seront peut-être à l’avenir réservés à des intentions et à des ambitions spécifiques, engagées ou délivrant un autre propos que celui strict de la série. Concevoir un générique pour une série tend à ne plus être systématique. Aujourd’hui, les séquences d’ouverture peuvent prendre de multiples formes et ne sont plus un passage obligatoire pour le spectateur. Le générique peut changer de durée, de forme... d’un épisode à l’autre. Il est possible de placer une séquence au premier épisode, puis de commencer les prochains directement dans l’action, il n’est plus nécessaire de le répéter encore et encore. Peut-être que ceux à venir seront là par choix et non plus par code.

Ou le générique d’ambiance peut-il également mettre son expérience au service d’autres médias ? Aujourd’hui, les studios de VFX hollywoodiens se tournent vers des trailers et des cinématiques de jeux vidéo. Ils tentent comme pour un générique de plonger les joueurs dans un récit fictif et accompagnent le passage de la réalité à l’univers du jeu.

Notes


  1. Bethy Squires, « The AHS: 1984 credits are a spandex slasher nightmare », Vulture, 12 septembre 2019, https://www.vulture.com/2019/09/the-ahs-1984-credits-are-a-spandex-slasher-nightmare.html 

  2. Alan Williams, directeur artistique Imaginary Forces, dans Olivier Joyard, Les génériques de séries, Canal+ et Empreintes digitales, 2018, 73 min 

  3. Alexandre Vuillaume-Tylski, Le générique de cinéma. Histoire et fonctions d’un fragment, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2009, pp. 32-33 

  4. Éric Vérat, Génériques ! Les séries américaines décryptées, Lyon, Les moutons électriques, 2012 

  5. Camille Lebrun, « Georges Lucas côté obscur, en 10 points », L’Express, 05 novembre 2012, [En ligne] https://www.lexpress.fr/culture/cinema/georges-lucas-cote-osbcur-en-10-points_1183081.html 

  6. Gérard Génette, Seuils [1987], Paris, Points, 2002 

  7. Olivier Marquézy, title designer à La Brigade du Titre, Paroles au graphisme. Génériques et motion design, Centre Pompidou Paroles, 04 décembre 2019, [En ligne] https://www.centrepompidou.fr/cpv/ressource.action?param.id=FR_R-2b7ebd9b4ecf1668993437fdb1739035&param.idSource=FR_E-f634873522b7f46d1c3326d9c597176 

  8. Alexandre Vuillaume-Tylski, op. cit. 

  9. Ibid.* 

  10. Olivier Joyard, op. cit. 

  11. Kyle Cooper, Art of the title, https://www.artofthetitle.com/designer/kyle-cooper/ 

  12. Éric Vérat, op. cit. 

  13. Motion Café, Invités : Alexandre Vuillaume-Tylski, Kook Ewo, Laurent Brett, Laure Chapalain, Nina-Lou Giachetti, Matthieu Colombel, [Émission#28] Title designer : un métier, 18 juin 2020, https://www.youtube.com/ 

  14. Entretien pages 65 à 67.  

  15. Motion Café, Invités : Alexandre Vuillaume-Tylski, Kook Ewo, Laurent Brett, Laure Chapalain, Nina-Lou Giachetti, Matthieu Colombel, op. cit. 

  16. Woody Allen, « The heart wants what it wants. There is no logic to those things. » 

  17. Maureen Ryan, rédactrice en chef des séries à Variety, dans Olivier Joyard, op. cit.  

  18. Iris Brey, critique de cinéma, dans Olivier Joyard, op. cit.  

  19. Guide de clown pour les idiots  

  20. Ce slogan qui cible les démocrates signifie Ils ne peuvent pas nous sucer la bite, mais aussi Ils ne peuvent pas sucer notre Dick. Dick ou Tricky Dick, Dick le rusé en français, était le surnom ironique de Richard Nixon.  

  21. Rhys Ernst, dans Olivier Joyard, op. cit. 

  22. Zackary Drucker, dans Scott Stiffler, « The Queen earns its crown in drag herstory pantheon », Los Angeles Blade, 22 février 2020, https://www.losangelesblade.com/2020/02/22/the-queen-earns-its-crown-in-drag-herstory-pantheon/ 

  23. Françoise Laugée, « Binge viewing », REM, n°29, Hiver 2013-2014, [En ligne] https://la-rem.eu/glossary/binge-viewing/ 

  24. Société de conseil stratégique sur l’utilisation des nouvelles technologies dans les entreprises et les organisations. 

  25. Catherine Dessinges et Lucien Perticoz, « Les consommations de séries télévisées des publics étudiants face à Netflix : une autonomie en question », Les enjeux de l’information et de la communication, n° 20, 2019, pp. 5-23, [En ligne] https://www.cairn-int.info/revue-les-enjeux-de-l-information-et-de-la-communication-2019-1-page-5.htm 

  26. Clément Combes, docteur en sociologie, « Du rendez-vous télé au binge watching : typologie des pratiques de visionnage de séries télé à l’ère numérique », Études de communication, n°44, 2015, pp. 97-113, [En ligne] http://journals.openedition.org/edc/6294 

  27. Rob Long, Conversations avec mon agent [1996], Arles, Actes Sud, 1997 

  28. Jean-Pierre Esquenazi, Les séries télévisées. L’avenir du cinéma ? [2010], Paris, Armand Colin, 2014, p. 10 dans Catherine Dessinges et Lucien Perticoz, op. cit. 

  29. Description de la fonctionnalité « Ignorer l’introduction dans les séries TV » dans l’aide aux utilisateurs de Netflix, https://help.netflix.com/fr/node/63402  

  30. « film(s) en plus long », dans Clément Combes, op. cit., p. 105 

  31. Netflix France, Le Jeu de la Dame : les coulisses, 10 décembre 2020, 14 min, https://www.youtube.com/watch?v=i1AWdDCEccw 

  32. Claire Cornillon, dans Alexandre Foatelli, « Binge watching, speed watching : des pratiques qui changent les séries ? », Ina, 03 mars 2019, https://larevuedesmedias.ina.fr/binge-watching-speed-watching-des-pratiques-qui-changent-les-series  

  33. Laurence Moinereau, Le Générique de film, du linguistique au figural, Thèse (Jacques Aumont dir.), Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, 2000, dans Alexandre Vuillaume-Tylski, op. cit., p. 63 

  34. David Chase, dans Olivier Joyard, op. cit.  

  35. Robert Massin, « On détestait le code typographique et toutes les règles anciennes de composition », dans Olivier Bessard-Banquy et Christophe Kechroud-Gibassier (dir.), La Typographie du livre français, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2008, p.112 

  36. Robert Massin, La Mise en pages, Paris, Hoëbeke, 1991, p. 67 

  37. Nicole de Mourgues, Le générique de film, Paris, Méridiens Klincksieck, 1994, dans Alexandre Vuillaume-Tylski, op. cit. 

  38. Laurence Moinereau, op. cit. 

  39. Gilles Bonnet, « Une poétique du seuil. Le génésérieque TV », Écrans, n° 4, 2015 – 2, L’analyse des séries télévisées, p. 19-39, Paris, Classiques Garnier, p. 25 

  40. Ibid. 

  41. Angel Tagudin et Ian Albinson, « Six Feet Under », Art of the title, 26 novembre 2012, https://www.artofthetitle.com/title/six-feet-under/ 

  42. Ibid. 

  43. Alan Ball, « Elegant, cinematic, so unlike TV. » dans Angel Tagudin et Ian Albinson, op. cit. 

  44. Ariane Hudelet, « Un cadavre ambulant, un petit-déjeuner sanglant, et le quartier Ouest de Baltimore : le générique, moment-clé des séries télévisées », GRAAT, 06 décembre 2009, http://www.graat.fr/backissuepiegesseriestv.htm 

  45. Alexandre Vuillaume-Tylski, op. cit. 

  46. Éric Vérat, op. cit., p. 25 

  47. Gilles Bonnet, op. cit., p. 20 

  48. Laurence Moinereau, « Générique et récit : modalités de gestion d’un écart » dans Catherine Guiral, Jérôme Dupeyrat et Brice Domingues (dir.), L’écartelage, ou l’écriture de l’espace d’après Pierre Faucheux, Paris, B42, 2013, p. 67 

  49. Éric Vérat, op. cit. 

  50. Lola Landekic et Will Perkins, « Stranger Things », Art of the title, 9 août 2016, https://www.artofthetitle.com/title/stranger-things/ 

  51. « Top 10 meilleurs génériques 2018 », Art of the title, https://www.artofthetitle.com/feature/top-10-title-sequences-of-2018/ 

  52. Le John Margolies Roadside America Photograph Archive est un fond documentaire de 11 710 diapositives couleur ayant pour sujet les commerces américains présents le long des routes et des autoroutes apparus après la Seconde Guerre mondiale. Les enseignes les plus fréquentes sont celles des restaurants, des stations essence, des cinémas, des motels et de la signalisation routière. Ces photographies ont été prises entre 1969 et 2008 par John Margolies, critique d’architecture et conservateur. 

  53. L’Environmental Protection Agency (EPA) est une agence indépendante du gouvernement américain basée à Washington. Elle a été créée après l’instauration du Jour de la Terre le 2 décembre 1970 pour étudier et protéger la nature et la santé des citoyens.  

  54. Marta Boni et Valentina Re, « Do not skip the intro! Les génériques des plateformes over-the-top », dans Réjane Hamus-Vallée et Alexandre Vuillaume-Tylski, L’art des génériques [Télévision], Paris, L’harmattan, 2019 

  55. Devon Ivie, « Paolo Sorrentino explains The Young Pope’s opening credits », Vulture, 07 février 2017, https://www.vulture.com/2017/02/young-pope-theme-song-opening-credits-explained.html 

  56. Sophie Lorgeré, « Analyse technique et esthétique du générique originel de Doctor Who (1963) : Instituer une identité sérielle par le générique », dans Réjane Hamus-Vallée et Alexandre Vuillaume-Tylski, op. cit. 

  57. Générique des deuxième et troisième saisons. « You are about to enter another dimension. A dimension not only of sight and sound but of mind. A journey into a wondrous land of imagination. Next stop... The Twilight Zone! » 

  58. Sophie Lorgeré, op. cit., p. 55 

  59. Charles Martin, « The Leftovers : pourquoi le générique de la saison 3 a encore changé », Première, 27 avril 2017, [En ligne] http://www.premiere.fr/Series/The-Leftovers-pourquoi-le-generique-de-la-saison-3-a-encore-change 

  60. Ariane Hudelet, op. cit., p. 13 

  61. Pierre Faucheux, Écrire l’espace, Paris, Robert La≠ont, 1978, cité dans Thierry Chancogne, « Typ top, typographie, topographie, topologie et typologie chez Pierre Faucheux , dans Catherine Guiral, Jérôme Dupeyrat et Brice Domingues (dir.), op. cit., p.86